Bonjour, bonsoir aux personnes qui nous écoutent dans ce podcast hebdomadaire. Je suis en compagnie de Ghada Hatem-Gunther, avec qui nous avons parlé de la maison des femmes. Du coup, Ghada, je te laisse te présenter comme tu le souhaites.
Eh bien, je m’appelle Ghada, je suis originaire du Liban. J’ai fait des études de médecine à Paris et j’ai choisi comme spécialité la gynécologie-obstétrique. Il y a une petite dizaine d’années, j’ai eu envie de créer un nouveau parcours de soins pour les femmes, car mes patientes m’avaient sensibilisée à leur vie, à leur vécu et très souvent, hélas, aux violences qu’elles subissaient. C’est ce qui a donné naissance à la Maison des femmes de Saint-Denis.
En tout cas, c’est un super projet, bravo à toi. Et du coup, deux petites questions pour introduire le sujet : Quel est l’état des lieux de la santé des femmes, et quel est l’état des lieux des violences faites aux femmes ?
État des lieux de la santé des femmes
La santé des femmes présente une double vision. Les femmes ont la chance d’avoir des gynécologues, des médecins entièrement dédiés, consultables à différents moments de la vie : premières règles, grossesse, ménopause… On garde donc un œil sur leur santé ; je ne dirais pas qu’elle soit la grande oubliée.
Certaines choses sont toutefois insuffisamment investiguées, comme l’endométriose, longtemps ignorée comme problématique identifiée. À l’inverse, pour le cancer du sein, cela fait très longtemps qu’on améliore les traitements, les statistiques et la chirurgie, pour qu’elle soit la moins mutilante possible.
Il subsiste des angles morts, notamment cardiovasculaires : on a trop longtemps pensé que seuls les hommes étaient concernés par l’infarctus—ce qui est faux. En recherche, les essais cliniques sont souvent faits sur des hommes, alors que la biologie des femmes n’est pas superposable ; les conclusions peuvent donc être inadaptées. Heureusement, ces points évoluent ; la maison des femmes contribue à cette prise de conscience.
Les femmes ont la possibilité d’être soignées à tout moment : enceintes ou non, heureuses ou inquiètes, en cas de douleurs ou de ménopause. Cette porte ouverte vers le soin est essentielle. Les jeunes hommes n’ont pas toujours cette chance.
État des lieux des violences faites aux femmes
S’agissant des violences, en dix ans, la société s’est saisie d’un sujet autrefois confidentiel, surtout porté par des militantes. Il est désormais omniprésent dans le quotidien des personnes sensibilisées—sans pour autant toucher tout le monde.
On est passé du « sujet de bonnes femmes » à une question de société. Les chiffres restent scandaleux : nombre de femmes victimes, d’enfants touchés, et de situations sans suite. Si on s’en occupait mieux, on pourrait réduire le fléau et prévenir pour l’avenir. La santé psychique des enfants y est étroitement liée, et son état actuel n’est pas brillant. Là encore, des lieux comme la maison des femmes jouent un rôle clé.
Merci pour cette présentation. Sur les problèmes cardiovasculaires, cela résonne pour moi : ma maman a fait un arrêt cardiaque quand j’avais huit ans ; heureusement, elle a été prise à temps. Ces sujets sont encore trop peu explorés, même si les choses avancent et doivent continuer.
Concernant les médicaments testés sur les hommes, je pense aussi aux accidents de la route : durant longtemps, les mannequins de crash-test étaient masculins. On commence enfin à intégrer des mannequins féminins avec poitrine, ce qui change la manière de pratiquer un massage cardiaque et de comprendre les traumatismes. Les choses bougent, lentement, et cela rejoint l’idée qu’il faut s’y prendre autrement—dans des lieux comme la maison des femmes.
Comment faire baisser les violences ?
Selon toi, quelle approche adopter pour que les violences faites aux femmes, mais aussi celles visant les hommes et d’autres minorités, diminuent réellement ? Comment faire pour que les générations futures vivent plus apaisées, avec une santé mentale prise au sérieux, notamment grâce à des parcours comme ceux portés par la maison des femmes ?
La violence : un phénomène complexe
Je n’ai pas de recette miracle, la violence est un phénomène très multifactoriel. Mais il existe cette idée, ancrée chez beaucoup d’hommes, que la violence ferait partie de leur ADN. C’est perçu comme un symbole de virilité. Quand on observe le comportement de certains hommes au volant ou en société, on est frappé par cette violence décomplexée, presque valorisée, comme si elle était normale, voire intéressante. Je pense qu’il faut commencer par là : arrêter de confondre la violence avec la force ou la puissance.
La force est une qualité nécessaire, et les femmes n’en sont pas dépourvues. Il y a des moments dans la vie où il faut être forte. Mais la violence, elle, est un ingrédient dont on pourrait se passer. Je ne suis pas sûre qu’on puisse l’éradiquer totalement, car certains comportements semblent instinctifs, viscéraux. Il faudra sans doute plusieurs générations pour s’en défaire.
Les représentations culturelles et sociales
Il faut aussi reconnaître que certaines femmes peuvent être attirées par des hommes violents, les fameux “bad boys”, parce qu’on leur a inculqué l’idée qu’une femme faible devait s’associer à un homme hyper-testostéroné pour exister. C’est donc sur nos représentations mentales qu’il faut agir. Elles sont tellement ancrées qu’on ne se rend même plus compte à quel point on pense comme on nous a appris à penser.
C’est un formatage collectif qu’il faut désapprendre — et des lieux comme la maison des femmes participent justement à ce travail de déconstruction.
Éduquer dès le plus jeune âge
Il faut commencer tôt, dès les bébés. Il est essentiel de convaincre les parents de se débarrasser de toute réaction violente, même si c’est difficile. Les enfants peuvent pousser à bout, et nous ne sommes que des humains, mais l’important est de prendre conscience de nos comportements inadaptés. Chaque fois qu’on agit sous le coup de la colère, on fait souvent plus de mal que de bien.
Ce serait déjà un premier pas d’en avoir conscience. Et pour cela, il faut accompagner les parents, les former, dès la maternité, puis dans les écoles, qui sont des lieux de socialisation essentiels. C’est un travail collectif, auquel des structures comme la maison des femmes peuvent aussi contribuer.
Je partage complètement ta vision. L’éducation, c’est ce qui peut changer les mentalités et donc changer le monde. Ton propos me fait penser au livre Le Coût de la virilité, qui montre, chiffres à l’appui, que les hommes sont majoritairement responsables des accidents de voiture, des bagarres ou des actes violents. Et pourtant, on continue d’entendre des phrases comme “femme au volant, mort au tournant”…
La violence banalisée dans la culture populaire
Et puis, quand tu parles de représentations, c’est vrai que dans les films, les livres ou les séries, la violence est souvent banalisée. Je pense à la série You, que j’ai adorée, mais qui montre un homme meurtrier, Joe Goldberg, qui tue des femmes parce qu’il n’est pas satisfait de leur comportement. Il fait des choses terrifiantes, mais on lui trouve des excuses : une enfance difficile, une blessure émotionnelle… On finit même par lui pardonner !
Je ne connais pas cette série, mais oui, nous sommes toutes formatées à regarder la violence avec d’autres lunettes. Dans certains films, les femmes violentées finissent par tomber amoureuses de leur agresseur, et on nous fait croire que c’est une histoire d’amour passionnée. C’est très dangereux, et c’est là que la maison des femmes a aussi un rôle : changer le regard collectif.
Oui, c’est vrai que le consentement est souvent ignoré. Pendant longtemps, les films faisaient croire que “non” voulait dire “oui”, qu’il suffisait d’insister. Heureusement, certaines séries comme Sex Education replacent le consentement au centre et abordent la sexualité avec bienveillance, ce qui reste tabou dans beaucoup d’endroits.
Oui, mais le consentement, ce n’est pas suffisant. Certaines femmes pensent encore qu’il ne faut pas “céder le premier soir” pour ne pas paraître “légères”, tout en attendant que l’homme insiste. On est donc prises dans des injonctions contradictoires : d’un côté, il faut être claire sur son consentement, de l’autre, ne pas passer pour une fille facile.
C’est extrêmement complexe, pour les filles comme pour les garçons. C’est pour cela qu’il faut travailler sur le long terme, en éducation, en prévention, dans des espaces d’écoute comme la maison des femmes.
De la théorie à la pratique pour le consentement
Ce que tu dis me fait penser à une invité de mon podcast, Aina, qui est sexothérapeute. Elle avait mené un exercice avec des collégiens : elle leur demandait la définition du consentement. Théoriquement, tout le monde donnait une excellente réponse, très juste. Mais dès qu’on passait à la mise en pratique, tout changeait La théorie était comprise, mais la réalité montrait autre chose.
Oui, complètement. Même pour les femmes. Certaines peuvent dire : « Quand je ne veux pas, je le dis clairement, et pourtant, l’autre ne m’écoute pas. » Et parfois, ce n’est pas si clair. Certain·es parlent de zones grises, d’autres de nuances, car tout n’est pas noir ou blanc. Il faut accepter cette complexité et la travailler, des deux côtés — les femmes comme les hommes — pour instaurer un vrai dialogue, et non un jeu de rôles qu’on reproduit parce que la société nous a appris à faire comme ça.
Présentation de la Maison des Femmes
Puisque tu parles de dialogue, c’est le moment idéal pour que tu présentes la maison des femmes : qu’est-ce que c’est, comment vous accompagnez les femmes, et comment vous dialoguez avec elles ?
La maison des femmes, ce n’est rien d’extraordinaire en soi : c’est un lieu de soins. Ce qu’il y a de nouveau, c’est d’avoir accepté que la violence soit une maladie. Les personnes violentes sont, d’une certaine manière, des malades.
Attention : cela ne les dédouane pas de leur comportement. Ils peuvent très bien travailler sur leur violence, sur leur incapacité à gérer leurs émotions ou leurs réactions inadaptées. Mais notre sujet à nous, ce sont les femmes victimes, car elles représentent la majorité.
Il existe bien sûr des femmes autrices de violence, mais ce n’est pas notre champ d’action. À partir du moment où subir de la violence devient un état chronique, c’est comparable à une maladie de longue durée — comme le diabète ou l’hypertension.
Cela infiltre toute la vie et agit sur la santé. Alors, puisque c’est une forme de maladie chronique, il faut la soigner. Et pour soigner, il faut dépister.
Dépister la violence : un enjeu majeur
Prenons l’exemple du diabète : si tu ne fais jamais de prise de sang, tu ne sauras que tu es malade que le jour où tu feras un coma. C’est pareil pour la violence : il faut trouver des moyens de la diagnostiquer.
Malheureusement, beaucoup de femmes ont intégré la violence comme quelque chose de normal. Elles se disent : « Mon conjoint est un peu sanguin, mais c’est un vrai mec, il m’aime, il s’emporte parfois. » Certaines vont même dire : « Je sais comment l’éviter. » Elles ont appris à ne pas dire ce qui le contrarie, à “filer doux”. Mais ce n’est pas normal.
On ne devrait pas vivre dans la peur de réveiller le dragon qui dort chez son conjoint.
Libérer la parole des femmes
Souvent, les femmes victimes ne se rendent même pas compte que leur situation est anormale. Elles disent : « Je subis des choses, je sais que ce n’est pas normal, mais je n’arrive pas à mettre des mots dessus. » Et c’est là que la maison des femmes intervient : le simple fait de poser des questions — comment ça va ?, avez-vous peur de votre conjoint ? — ouvre un dialogue.
Et ce dialogue, c’est peut-être la première chose qu’on a démocratisée à la maison des femmes. Il a permis à de nombreuses femmes de comprendre leur malaise, de mettre des mots sur leurs souffrances, et à nous, médecins, de comprendre certains symptômes que la médecine traditionnelle ne pouvait pas expliquer. Quand tout semblait normal sur les examens, ces maux invisibles prenaient enfin sens.
Soins et accompagnement global
Ensuite, à la maison des femmes, nous avons mis en place plusieurs types de soins :
- des psychothérapies,
- des consultations psychiatriques,
- des soins corporels, car la violence s’imprime dans le corps et il faut aider le corps à se réparer.
La palette est large : kinésithérapie, ostéopathie, psychomotricité… Mais la violence a aussi un impact social. C’est pourquoi nous avons intégré des travailleurs sociaux, pour accompagner les femmes dans leurs démarches administratives ou logement.
Une approche intégrée : santé, justice et sécurité
Certaines femmes ne veulent pas porter plainte — et c’est leur droit. Notre rôle n’est pas de les contraindre, mais de les accompagner. Nous avons donc instauré une permanence de police, une fois par semaine, dans un cadre bienveillant. Elles peuvent venir quand elles le souhaitent, sans pression. L’idée, c’est de leur laisser le choix, car elles ont déjà été dépossédées de leur liberté par leur agresseur.
Nous travaillons aussi avec la justice : des avocats et juristes viennent donner des conseils et accompagner les dossiers. L’objectif de la maison des femmes, c’est de rassembler en un seul lieu tous les services essentiels dont une femme peut avoir besoin : santé, accompagnement psychologique, soutien juridique, écoute, et réparation.
Le pouvoir des groupes de parole
Enfin, à la maison des femmes, nous avons mis en place des groupes de parole, selon les types de violences subies. Ces espaces permettent aux femmes de partager leurs expériences, de retrouver confiance, et de se reconstruire ensemble.
Nous avons aussi créé des ateliers thérapeutiques et créatifs, qui se sont révélés très précieux. Au début, je n’y avais pas pensé, mais ils se sont imposés comme une évidence. Ils montrent que la maison des femmes n’est pas seulement un centre de soins, mais un lieu d’humanité, où chaque femme peut retrouver sa voix, son corps et sa dignité.
L’art et le mouvement comme thérapies
On a vite constaté qu’à travers l’art, le théâtre, le sport — notamment le karaté, qui est très pratiqué à la maison des femmes — mais aussi à travers la danse, le jardinage ou le yoga, les femmes parvenaient parfois à avancer plus vite dans leur vie. Parfois même plus efficacement qu’avec un simple soutien psychothérapeutique régulier.
Nous avons donc décidé à la maison des femmes de combiner ces approches, pour offrir un panel complet d’options. La maison des femmes est ainsi devenue un espace expérimental, où se croisent les soins médicaux, les activités artistiques et le travail corporel.
Accompagner aussi les enfants
Nous avons ajouté une petite prise en charge pour les enfants, même si nous manquons de ressources humaines. Mais lorsqu’une femme vient accompagnée de son enfant, ou évoque un malaise chez lui, nous pouvons, grâce à nos pédiatres et psychologues spécialisés, évaluer la situation et orienter ces enfants vers un suivi adapté.
C’est essentiel, car la maison des femmes ne se limite pas à soigner les conséquences visibles, elle agit aussi sur les racines du problème, en tenant compte de la santé globale du système familial.
Un passage vers la reconstruction
L’idée de la maison des femmes, c’est d’être un lieu de passage, pas une résidence permanente. Quand une femme va mieux, qu’elle a résolu certaines difficultés, il est important qu’elle puisse partir, reprendre sa vie en main et avancer seule. D’abord parce qu’il y a d’autres femmes qui ont besoin d’aide, mais aussi parce que cette autonomie retrouvée est une étape clé dans la guérison.
Ce qui me frappe beaucoup, c’est que certaines femmes issues de milieux aisés, souvent très diplômées et socialement intégrées, vivent des violences qu’elles ont appris à masquer. Elles donnent l’image de femmes fortes, autonomes, qui gèrent tout, mais en réalité, elles souffrent en silence.
Parfois, une simple consultation suffit à provoquer une prise de conscience profonde. Ces femmes réalisent que ce qu’elles vivaient depuis vingt ans n’était pas « normal ». Elles avaient refusé de voir la réalité, car elle était trop douloureuse, trop choquante, ou trop compliquée socialement.
Certaines avaient peur de briser leur image : celle d’une femme forte, courageuse, qui ne craint rien. Mais en parlant, en creusant — parfois pendant une heure entière — on parvient à faire émerger quelque chose. Et quand je les revois un mois, deux mois, trois mois plus tard, elles sont souvent radicalement transformées. Rien que ça, c’est déjà une victoire immense pour la maison des femmes.
Retrouver le pouvoir d’agir
En effet, ce que vous faites, c’est permettre aux femmes de se transformer, intérieurement et extérieurement. Vous les aidez à reprendre leur destin en main, à agir consciemment sur leur vie. Parce que, comme tu l’as dit, tant qu’on n’a pas conscience d’une situation, on ne peut pas agir dessus.
C’est beau de se dire qu’une consultation unique peut provoquer un tel déclic, permettre de prendre du recul, de questionner sa normalité. Parce qu’à force de vivre une situation, elle devient le quotidien, la norme. Certaines se disent même : « S’il me gifle, c’est normal, ça arrive dans tous les couples. » Ce sont des croyances dangereuses, souvent héritées de l’enfance. Quand on a grandi dans un schéma familial toxique, on peut reproduire inconsciemment les violences qu’on a intériorisées.
Les racines de la violence
Oui, absolument. C’est pour cela qu’il faut commencer très tôt, chez les tout-petits. Plus on intervient tôt, plus on a de chances d’éviter que des enfants grandissent dans des foyers violents. C’est terrible pour un enfant de vivre dans un climat de peur.
Mais il y a aussi des femmes qui n’ont jamais connu la violence dans leur enfance, et qui tombent amoureuses d’hommes violents.
Elles réécrivent l’histoire, pour la rendre supportable. Elles minimisent les faits, se convainquent que « ce n’est pas si grave », qu’« il est comme ça parce qu’il m’aime trop ».
Le poids des illusions
Certaines acceptent l’inacceptable, simplement pour préserver l’image du couple parfait. Elles veulent que leur histoire de vie soit belle, comme dans les films. Et parfois, le simple fait qu’un médecin leur dise : « Ce que fait votre mari n’est pas normal, c’est interdit par la loi », agit comme un choc salvateur.
Pour quelqu’un d’extérieur, cela paraît évident, mais pour celles qui sont dedans, c’est invisible, intégré, normalisé. Elles ne voient plus le problème, parce qu’il est devenu leur quotidien. C’est ce processus de dé-normalisation que la maison des femmes cherche à provoquer, en aidant chaque femme à reconnaître sa valeur, à se libérer de la peur et à retrouver le droit d’exister pleinement.
Les injonctions sociales au couple
Oui, et peut-être que certaines restent dans des relations toxiques parce que le couple reste vu comme le Saint Graal de la réussite. Dans notre société, on valorise encore trop l’idée que “quand tu as un couple, une maison, un chien et des enfants, tu as réussi ta vie.” Et si tu ne remplis pas cette case, c’est presque une défaite sociale.
Beaucoup de femmes approchant la trentaine ressentent aussi la pression de l’horloge biologique. Elles se mettent rapidement en couple, parfois pour fonder une famille, avant qu’il ne soit “trop tard”. Mais quand la relation se précipite, elle peut devenir un piège : crédit immobilier, enfants, dépendance émotionnelle ou financière. Et une fois engagées, ces femmes se retrouvent prises au piège d’un système dont il est difficile de sortir.
La maison des femmes essaie justement d’accompagner ces reconstructions, en rappelant que la liberté, la sécurité et la dignité valent toujours plus qu’un modèle social.
Le piège du couple parfait
Oui, c’est sûr que la vie telle qu’on la construit peut devenir un piège qui empêche de bouger. Pour de multiples raisons : matérielles, affectives, sociales. Quand, par exemple, tu as un couple glamour que toutes tes copines t’envient, elles ne savent pas ce qu’il se passe en réalité dans ton couple.
Et tu as du mal à briser cette image qui, quelque part, est valorisante. C’est donc compliqué, et souvent très culpabilisant. C’est exactement ce que nous observons à la maison des femmes, où certaines patientes ont longtemps préservé une façade parfaite, avant d’oser parler.
Le piège de la séduction rapide
Il ne faut pas négliger un autre aspect : quand on se met en couple très vite, ce n’est pas toujours le choix de la victime. C’est parfois la stratégie de l’agresseur.
Un des mécanismes les plus fréquents, c’est celui de la fusion immédiate : il te fait croire à un coup de foudre extraordinaire, te dit « On ne doit pas perdre de temps », et te pousse à t’installer très vite avec lui. Cela paraît romantique, gratifiant, mais c’est souvent un piège qui se referme doucement.
À la maison des femmes, on en parle souvent : ces signaux précoces doivent être connus des femmes, mais aussi de leur entourage. Si une amie décide d’emménager après une semaine de rencontre, il faut rester attentif, discret, mais présent, car elle pourrait avoir besoin d’aide plus tard.
Cette stratégie d’isolement et de possession est redoutable. Quand tu vis avec quelqu’un, il lui est plus facile de te contrôler, de t’humilier, voire de te faire du mal. C’est précisément ce que la maison des femmes cherche à prévenir, en sensibilisant sur les signes d’emprise et en formant les soignants à les repérer.
Les signes d’alerte dans la relation
Oui, car à ce moment-là, tu perds ta liberté. Et ce que tu décris fait penser à un pervers narcissique : au début, tout semble idyllique, puis peu à peu il isole, contrôle et rabaisse la victime. Mais du coup, quels sont les profils d’agresseurs à connaître, pour que les personnes qui nous écoutent puissent reconnaître les signaux d’alerte ?
Pas de profil type, mais une stratégie récurrente
Il n’y a pas de profil type d’agresseur. Mais il existe une stratégie commune. Si un homme te joue l’amour fou très vite, il faut garder une distance de sécurité et se demander : « Où veut-il m’emmener ? »
Quelqu’un qui veut s’installer immédiatement après une rencontre, ce n’est pas logique. Chaque fois qu’un comportement paraît excessif, il faut s’interroger.
Le problème, c’est que pendant cette phase, l’agresseur inonde sa victime d’amour, de cadeaux et de promesses. Il lui fait croire qu’elle est exceptionnelle, comprise comme jamais, et elle veut y croire. C’est trop beau, trop parfait — et surtout, elle ne voit pas les signaux rouges.
Petit à petit, il restreint ses libertés : il critique ses amies, son style vestimentaire, lui fait des remarques insidieuses déguisées en compliments : « Je veux que tu sois la plus belle, mais pas habillée comme ça. » Et elle finit par penser que c’est de l’amour.
Ces schémas, on les retrouve souvent à la maison des femmes, et ils se répètent chez des femmes de tous milieux sociaux, preuve que l’emprise n’épargne personne.
Le rôle de l’entourage
Il faut être vigilant, mais aussi délicat. Dire à une amie : « Tu ne vois pas qu’il te manipule ? » ne sert à rien — au contraire, ça ferme la porte. Il vaut mieux l’amener à réfléchir : « Est-ce que tu trouves ça normal ? », « Et si c’était ta sœur ou ta meilleure amie, tu réagirais comment ? »
Faire ce pas de côté peut l’aider à prendre conscience. Parce que parfois, le piège est si bien ficelé qu’elle saute dedans volontairement, convaincue de vivre une histoire d’amour exceptionnelle.
Le déclic et la bienveillance
Ce que tu dis me rappelle un autre épisode de Matrimoine Féministe, celui sur le violentomètre. Mon invitée expliquait qu’on pouvait parfois aider une amie en filmant discrètement une scène de dispute, puis en lui montrant après : « Regarde comment il t’a parlé, tu n’as rien dit, et il t’a rabaissée. » Ça peut provoquer un déclic puissant.
Oui, mais il faut le faire avec énormément de précaution. Personne n’aime qu’on lui dise : « Tu es aveugle, ce type t’utilise. » C’est contre-productif.
Aider une amie qui ne veut pas être aidée est très difficile. Il faut simplement montrer sa disponibilité, être présente, bienveillante, non-jugeante. Parce qu’un jour, elle aura peut-être besoin de toi, et ce jour-là, ta présence silencieuse fera toute la différence.
C’est aussi ce qu’on apprend à la maison des femmes : écouter sans imposer, accompagner sans forcer, et laisser à chacune le temps d’être prête à se libérer.
L’impuissance face à une amie en danger
Oui, comme tu le dis, ce n’est pas évident d’aider quelqu’un qui ne veut pas être aidé ou qui n’a pas conscience d’en avoir besoin. On se sent souvent impuissant·e, on aimerait ouvrir les yeux de la personne, lui dire : « Ce que tu vis n’est pas normal, s’il te plaît, réveille-toi, ça va te détruire. »
Oui, c’est très dur. On ne peut pas soigner quelqu’un qui ne veut pas l’être. On ne peut pas aider quelqu’un qui refuse d’être aidé. Et il faut aussi l’accepter, même si c’est douloureux.
Oui, c’est vrai. Il y a des choses qu’on ne peut pas contrôler. On peut juste agir sur soi-même, et encore, parfois, on n’a pas toutes les clés. Alors maîtriser les autres, c’est encore plus compliqué.
Des parcours de vie marquants à la maison des femmes
Justement, parmi les femmes que vous accompagnez à la maison des femmes,
quels sont les parcours de vie ou les transformations qui t’ont le plus marquée ? Pas pour faire une hiérarchie, bien sûr, mais celles qui t’ont touchée personnellement.
La résilience d’une femme réfugiée
Ce qui nous marque le plus, ce sont souvent les patientes qu’on a suivies de près. Je pense à une femme qui avait fui son pays et son mari violent, un homme haut placé dans l’armée. Elle savait que personne ne la croirait si elle parlait, alors elle est partie, la mort dans l’âme, sans ses enfants. Sa seule obsession était de les faire venir en France.
Quand nous l’avons rencontrée à la maison des femmes, elle dormait dehors, se lavait dans les ruisseaux après la pluie. C’était terrible. Mais elle est devenue peu à peu la mascotte du lieu ; elle venait à tous les ateliers, toujours présente, malgré sa situation précaire.
Elle avait aussi été excisée, et j’ai fini par l’opérer, ce qui lui a redonné confiance et courage.Puis, grâce à une avocate engagée, elle a obtenu l’asile, trouvé un emploi, un logement, et reconstruit sa vie.
Je me souviens encore du jour où elle est arrivée avec un immense plat de poulet yassa pour 45 personnes, pour nous remercier. Elle venait d’annoncer qu’elle avait fait venir ses enfants, ce qui était le but ultime de sa vie. Ce sont des moments inoubliables, des histoires de renaissance qui montrent tout le sens du travail mené à la maison des femmes.
D’autres histoires de renaissance
Je pense aussi à une jeune fille que nous avions reçue, traumatisée, après avoir fui un mariage forcé et survécu à un parcours migratoire terrible. Aujourd’hui, elle est élève infirmière et vient d’obtenir la nationalité française. Ce sont des étapes de vie magnifiques.
Et puis, il y a mes patientes des beaux quartiers — celles que j’ai connues avant d’arriver à Saint-Denis. Des femmes bourgeoises, brillantes, cultivées, qui vivent pourtant sous emprise, sans même s’en rendre compte. Une prise de conscience, parfois en une seule consultation, peut changer toute leur vie Et voir cela, c’est profondément gratifiant.
L’impact collectif de la maison des femmes
Ces exemples sont magnifiques. Je suis très heureuse pour ces femmes, même sans les connaître. Elles ont fait preuve d’une résilience incroyable. Et c’est vrai que pour toi et ton équipe, ce doit être très gratifiant de voir que vous avez pu changer une trajectoire de vie.
Oui, mais en réalité, ce sont elles qui s’aident elles-mêmes. Nous, à la maison des femmes, nous ne faisons que leur tendre la main, les accompagner sur un bout du chemin. Mais ce qu’elles accomplissent, c’est énorme.
Le simple fait d’avoir été présente à un moment clé de leur parcours peut changer la donne. Et c’est exactement pour cela qu’il faut des maisons des femmes. Aujourd’hui, il y en a une trentaine sur le territoire français, et c’est une formidable avancée : cela permet à des femmes, partout en France, de pouvoir solliciter un accompagnement, se reconstruire et retrouver leur dignité.
L’excision : une tradition ancienne qui pèse sur les femmes
L’excision, c’est une pratique issue de traditions très anciennes. Comme je te le disais, nous sommes tous formatés par nos éducations, nos familles et nos cultures. Certaines traditions multimillénaires continuent de peser sur les femmes, parfois aussi sur les enfants, mais très rarement sur les hommes. Elles sont tellement ancrées dans la société qu’il est difficile de s’en défaire, car elles se sont imposées à une époque où elles semblaient représenter la vérité, le bien.
Pourtant, beaucoup de ces traditions sont catastrophiques, et la société a du mal à les remettre en question. L’excision en est un exemple emblématique. Elle est pratiquée depuis environ 5000 ans : on a retrouvé des momies égyptiennes portant les stigmates de cette mutilation. On pense qu’elle est née en Égypte, avant de se propager le long du Nil jusqu’à l’Afrique subsaharienne, où elle reste encore fréquente aujourd’hui.
Une pratique pour contrôler le plaisir féminin
L’excision consiste à couper un petit morceau du sexe des petites filles, souvent un tout petit bout, mais ce petit bout contient le gland du clitoris et son capuchon, soit la zone la plus sensible du corps féminin. C’est elle qui permet les sensations sexuelles les plus intenses. Derrière cette pratique, il y a l’idée de maîtriser le plaisir des femmes. Les femmes ont toujours suscité de la peur, notamment en raison de leur pouvoir d’enfanter et de leur désir que certains ont perçu comme mystérieux ou dangereux. On les associait parfois à la sorcellerie, au diable, à quelque chose qu’il fallait dompter.
Ainsi, couper les petites filles donnait l’illusion de contrôler leurs désirs, de préserver leur pureté et de protéger l’honneur familial. Derrière cela se cache une angoisse collective : celle que les femmes puissent aimer librement, avoir des enfants hors mariage, et rompre avec les normes sociales. Ces croyances patriarcales continuent de persister dans certaines cultures. C’est précisément contre ces violences faites aux femmes que la maison des femmes agit au quotidien, en accompagnant les survivantes de mutilations sexuelles féminines et en sensibilisant la société.
Les conséquences physiques et psychologiques graves
Les conséquences immédiates de l’excision peuvent être dramatiques. Une petite fille peut mourir d’hémorragie, car la zone est extrêmement vascularisée. Et comme cette pratique est aujourd’hui interdite dans de nombreux pays, les parents n’osent pas aller à l’hôpital par peur d’être dénoncés. Ils se retrouvent parfois à regarder leur fille mourir, impuissants. S’ajoutent ensuite des risques infectieux : quand la même lame est utilisée pour plusieurs enfants, elle peut transmettre le VIH ou d’autres infections graves.
Et puis, il y a le traumatisme psychologique. Imagine : tu es une petite fille, à peine consciente, et soudain des adultes te maintiennent, t’écartent les jambes, te font mal sans que tu comprennes ce qui se passe. Cette zone, censée être source de plaisir et de vie, devient synonyme de douleur, de peur et de violence. Ce traumatisme laisse des traces : il abîme la sexualité, détruit la confiance en soi, et provoque un rapport au corps profondément blessé. C’est pour cette raison que la maison des femmes considère l’excision non seulement comme une mutilation, mais aussi comme une blessure psychique et sociale à réparer.
Réparer le corps et reconstruire la confiance
Malgré les lois, les campagnes de prévention et le travail des associations, l’excision existe encore. Elle a reculé, mais certaines familles continuent de la percevoir comme bénéfique. À la maison des femmes, nous accompagnons ces femmes dans un travail thérapeutique et corporel. Il s’agit de reprendre l’histoire du trauma, de travailler sur la sexualité et sur la reconquête du plaisir.
Car dans ces cultures, on apprend souvent aux petites filles que le sexe est mal, dangereux, ou réservé à l’homme. Elles grandissent dans la culpabilité, et finissent par être insatisfaites, tout comme leurs conjoints. C’est un cercle de souffrance que la maison des femmes cherche à rompre, pas à pas.
La chirurgie réparatrice du clitoris
Quand c’est possible, une intervention chirurgicale peut être proposée. Elle permet de replacer le clitoris à sa position naturelle, car la partie retirée est souvent minime. Cette chirurgie redonne un aspect anatomique normal, ce qui aide la femme à retrouver une image positive d’elle-même.
Et en repositionnant le clitoris plus superficiellement, elle facilite aussi la possibilité de ressentir du plaisir. C’est une reconstruction du corps, mais aussi une reconstruction de l’identité. Pour beaucoup de femmes suivies à la maison des femmes, c’est une étape essentielle vers la guérison, la dignité retrouvée, et la réappropriation de leur féminité.
Un combat pour le corps et la liberté des femmes
Merci pour cette présentation si complète et précise. C’est vrai que, depuis des siècles, les hommes ont cherché à contrôler le corps des femmes, à les invisibiliser et à dominer leur sexualité. Mais aujourd’hui, grâce à des structures comme la maison des femmes, les choses évoluent enfin : les femmes excisées peuvent être accompagnées, soignées et écoutées. Il y a encore quelques années, elles n’avaient aucun recours. Aujourd’hui, elles peuvent espérer guérir, retrouver leur intégrité et reprendre leur pouvoir.
La reproduction des croyances et la transmission du tabou
Oui, mais même aujourd’hui, quand tu es excisée dans ta campagne, tu n’es pas plus aidée, tu ne comprends pas mieux ce qui t’arrive. Le vrai problème, c’est que parfois, tu arrives à convaincre les femmes elles-mêmes que c’est une bonne chose. Elles finissent par croire que c’est “mieux pour leurs filles”, qu’elles seront plus propres, plus sages. Les mères aussi sont conditionnées par la honte, le tabou, la peur du scandale ou du déshonneur. Elles pensent alors qu’en faisant couper leur fille, elle se comportera mieux, qu’elle sera mieux perçue socialement.
À la maison des femmes, on entend souvent ces récits de culpabilité et de transmission : des femmes persuadées d’avoir agi “par amour”, alors qu’elles n’ont fait que reproduire une violence apprise. Et tu vois, même pour en finir avec l’excision, on a réussi à associer la valeur d’une fille à sa pureté. Dans certains villages, une fille non coupée était perçue comme impure, indigne d’adresser la parole aux anciens ou de partager un repas. Cette idée de pureté n’a jamais été transposée aux garçons : leur impureté n’a jamais intéressé personne.
En revanche, celle des filles est devenue un outil de contrôle social. On a donc expliqué qu’une fille non excisée ne pouvait pas se marier, et comme le mariage représente, dans de nombreuses sociétés, le but ultime d’une vie féminine, alors on la coupe “pour son bien”. Tout s’imbrique parfaitement pour maintenir le contrôle du corps, du plaisir et du désir des femmes. C’est justement pour déconstruire ces mécanismes que la maison des femmes agit : en accueillant la parole, en proposant un espace où les tabous se brisent et où les traditions violentes sont enfin questionnées.
Oui, en effet, tout dépend des sociétés et des valeurs qu’elles défendent. On peut comprendre, entre guillemets, qu’une mère, dans ce contexte, fasse ce choix parce qu’elle veut le meilleur pour sa fille. Si, dans sa culture, le mariage est le symbole suprême de la réussite, elle fera tout pour lui garantir cette place.
Oui, parce que sinon, ce n’est pas une “vraie fille”. Et c’est tragique, car cette croyance est intégrée profondément, y compris par les femmes. C’est pour cela que la maison des femmes mène un travail d’éducation et de prévention, notamment auprès des mères et des adolescentes, pour rompre ce cycle de soumission transmise.
Malheureusement, oui. Et ça me fait penser à cette idée de pureté, qu’on retrouve aussi dans la perception du sang menstruel. Dans beaucoup de cultures, les règles sont perçues comme impures : certaines filles n’ont pas le droit d’entrer dans les lieux sacrés, d’autres sont isolées de leur foyer pendant plusieurs jours. Cette idée est directement liée à la même injonction de pureté féminine. Les garçons, eux, n’ont jamais eu cette contrainte morale. Et c’est la même chose avec la virginité : une fille vierge jusqu’au mariage, c’est valorisé, alors qu’un homme vierge est considéré comme ridicule ou inexpérimenté. Il faut qu’il ait “un peu vécu”, tandis que la femme, elle, doit être pure, docile, intacte.
Exactement. L’homme, celui qui va l’épouser, doit être honoré par cette pureté. Mais les autres, non. Cette obsession de la pureté et de l’honneur pourrit littéralement la vie de millions de femmes à travers le monde. Et même sans aller jusqu’à des contextes extrêmes comme en Iran ou en Afghanistan, beaucoup de filles vivent sous surveillance constante, y compris par leur propre mère. Ces femmes, par peur du jugement social, deviennent les instruments de leur propre oppression.
À la maison des femmes, nous recevons souvent des patientes qui disent : “C’est ma mère qui m’a fait exciser, mais c’est aussi elle qui m’a accompagnée ici.” C’est toute la complexité du conditionnement, et aussi la beauté de la transmission réparée.
Et tu as raison pour les règles : elles ont été perçues pendant des siècles comme un phénomène mystérieux et inquiétant. Quand on ne comprend pas le corps féminin, tout devient suspect. Les hommes ne savaient pas pourquoi les femmes saignaient sans mourir, alors ils ont conclu que ce sang devait être maléfique. Pendant longtemps, tout ce qui échappait à la compréhension devenait sacrilège ou dangereux.
D’où toutes ces superstitions absurdes : “Ne fais pas de mayonnaise pendant tes règles, elle va tourner !” ou “Ne pilote pas d’avion pendant tes règles, tu pourrais perdre le contrôle.” Ces croyances montrent à quel point le corps des femmes a été enfermé dans une symbolique de peur et de magie. À la maison des femmes, nous travaillons aussi sur cette reconnexion au corps, pour que les femmes cessent d’avoir honte de leur biologie, de leur sang, de leur cycle, de leur nature.
Et c’est vrai que, comme tu le disais plus tôt, le fait de donner la vie est une force presque magique. C’est une expérience unique, que les hommes ne peuvent pas connaître. Et c’est sans doute aussi cette incompréhension face au pouvoir de la maternité qui a conduit à vouloir le contrôler, voire à le dominer.
Oui, parce que donner la vie, c’est un pouvoir immense. Et si tu n’es pas sûr d’être le père, tu risques d’élever le fils d’un autre, ce qui, historiquement, était vécu comme une honte insupportable. Cette peur a beaucoup contribué à la volonté de contrôler le corps des femmes. Il y a mille ans, quand une femme voyait son ventre grossir, personne ne comprenait ce phénomène. Certains croyaient qu’il y avait des “petits êtres dans l’air” que les femmes inspiraient et qui les rendaient enceintes. Tant qu’on ne comprenait pas le fonctionnement du corps, tout était mystère, donc potentiellement dangereux.
Oui, et au fond, c’est le pouvoir de la désinformation qui a toujours nourri ces violences structurelles. Quand on ne comprend pas, on cherche à maîtriser, à dominer. Alors qu’en réalité, le savoir, c’est la clé de la liberté.
Absolument. Pour les femmes, c’est évident : le savoir, c’est le pouvoir. Et c’est exactement ce qu’on fait à la maison des femmes : informer, expliquer, démystifier le corps, pour que chaque femme puisse se le réapproprier sans honte ni peur. La maison des femmes est un lieu de libération symbolique, où la connaissance devient une arme contre la domination.
Le mot de la fin de « la maison des femmes »
Alors du coup, quel serait pour toi le mot de la fin pour la maison des femmes ?
Je crois que, vu tout ce qu’on a partagé, le mot de la fin, c’est la connaissance. À la maison des femmes, on le répète souvent : la connaissance, c’est le début de la liberté. La connaissance pour les femmes, mais aussi pour les hommes et les enfants. C’est probablement la seule solution durable pour construire un monde moins violent, plus égalitaire et plus harmonieux. Et à la maison des femmes, cette idée guide tout : éduquer, informer, transmettre. La fin pour moi, c’est de dire qu’il faut se préoccuper de l’enfance de manière urgente, parce que tout commence là.
Oui, et justement, comment avoir une bonne connaissance aujourd’hui ? Parce qu’entre désinformation, fake news et influence des réseaux, ce n’est pas évident. Comment savoir ce qui est vrai ?
C’est vrai. On a aujourd’hui tous les outils pour apprendre, mais il faut choisir les bonnes sources. Internet, c’est à la fois le pire et le meilleur. On y trouve des podcasts engagés, des témoignages précieux, mais aussi beaucoup de fausses informations. À la maison des femmes, on essaie de réhabiliter la lecture, de redonner goût aux livres, parce que le livre reste une source de savoir fiable. On y apprend la nuance, la réflexion, la lenteur. Et puis, il y a les débats collectifs, les cercles de parole, ces espaces où les femmes échangent, se confrontent, doutent, se soutiennent — exactement comme ce qu’on vit à la maison des femmes.
Ce qui m’inquiète aujourd’hui, c’est cette mainmise sur la connaissance. Beaucoup vivent dans des bulles d’opinions, des sectes numériques, sans jamais questionner leurs certitudes. À la maison des femmes, on apprend justement à penser par soi-même, à remettre en question ce qu’on croyait acquis. Parce que la vérité n’est pas figée, elle évolue avec le temps, avec le dialogue, avec le savoir. Plus on apprend, plus on avance. Il faut cultiver le doute, relativiser, écouter l’autre — c’est exactement la philosophie de la maison des femmes : apprendre sans juger, transmettre sans dominer.
Oui, tu as raison. C’est tout le travail de l’esprit critique, qu’on perd parfois à cause des algorithmes et du biais de conformité. On voit surtout des contenus qui nous ressemblent, alors il faut aller chercher ce qui nous dérange, ce qui nous contredit. Et c’est vrai que ça, on l’apprend aussi dans des lieux comme la maison des femmes, où la diversité des voix est une richesse.
Exactement. Il faut toujours connaître ce que pense l’autre, même si on n’est pas d’accord. À la maison des femmes, on dit souvent qu’il faut écouter pour comprendre, pas pour répondre. Comprendre, c’est déjà reprendre du pouvoir. Même face à “l’ennemi”, savoir ce qu’il pense, pourquoi il pense comme ça, c’est déjà une forme de résistance éclairée.
Oui, c’est vrai, c’est plus simple de débattre quand on comprend les arguments adverses. Sinon, on se retrouve désarmée, sans savoir quoi répondre. Et c’est là que le travail de fond de la maison des femmes prend tout son sens : former les femmes à l’esprit critique, à la confiance en soi, à la parole libérée.
Les rôles modèles et la transmission féminine
Tu sais, les rôles modèles, ce ne sont pas toujours des personnes connues. Parfois, c’est un livre, une phrase, une rencontre. Mais j’ai eu la chance de croiser des médecins extraordinaires. Je pense à Francine Leca, une femme chirurgienne cardiaque à une époque où c’était presque impensable. Elle m’a montré qu’une femme pouvait occuper n’importe quelle place, même celles réservées aux hommes. Et c’est aussi ce qu’on essaie de montrer à la maison des femmes : que rien n’est impossible quand on t’accompagne avec respect et écoute.
Je pense aussi à Sylvie Pellemoy, qui a beaucoup fait pour la PMA. Elle m’a appris qu’on pouvait lier la médecine à la sociologie, la biologie à l’humanité. Cette vision globale du soin, c’est exactement celle de la maison des femmes : une médecine qui soigne le corps, mais aussi le traumatisme, la mémoire et la dignité.
Et bien sûr, il y a des figures historiques. Simone Veil, pour moi, c’est l’incarnation de la connaissance comme arme de liberté. Elle a refusé la soumission, repris ses études, élevé ses enfants, et transformé la société. Et puis Marie Curie, deux prix Nobel, une vie entière dédiée à la recherche et à la vérité. Ces femmes sont des phares, comme celles qu’on croise chaque jour à la maison des femmes : des patientes anonymes, courageuses, qui, par leur résilience, inspirent tout le monde.
Oui, c’est vrai, l’inspiration est partout. Dans un livre, une conversation, une rencontre. Et c’est ce que j’aime à la maison des femmes : on y sent cette transmission vivante, cette sororité concrète, où chaque histoire devient un enseignement pour une autre.
Exactement. Et puis il y a aussi les enfants. Mes deux grands enfants m’ont énormément appris. Ils m’ont obligée à sortir de mes certitudes, à regarder le monde autrement, à me remettre en question. À la maison des femmes, on le voit aussi : les enfants sont des miroirs puissants, ils posent des questions qu’on n’ose plus poser, ils ouvrent des perspectives qu’on avait oubliées.
Oui, c’est challengeant, mais essentiel. Sortir de sa zone de confort, adopter un autre regard, c’est ce qui permet d’être empathique, bienveillante, de comprendre sans juger. C’est exactement ce que vous cultivez à la maison des femmes : une écoute vraie, une humanité active.
Oui, et tu sais, des gens qui ne nous ressemblent pas, il y en a beaucoup ! (rires) Mais c’est aussi ça la beauté du monde. Et à la maison des femmes, chaque rencontre te rappelle à quel point on peut apprendre des autres. Il y a du travail, oui, mais surtout, il y a de l’espoir.
Quelles ressources tu-recommanderais aux personnes qui nous écoutent ?
Je crois qu’on apprend aussi en écoutant des témoignages, en se confrontant à d’autres réalités, à des visions différentes. Parce qu’on ne pourra jamais tout comprendre du monde, mais on peut au moins apprendre ce qu’on a besoin de savoir à l’instant présent. Et c’est d’ailleurs ce que propose la maison des femmes : un lieu où les récits se croisent, se répondent, et permettent d’ouvrir d’autres horizons.
Ouh là là, la question difficile ! (rires) Je suis du genre boulimique de savoir. Je pense qu’il faut piocher partout : dans les livres, les films, les podcasts, les rencontres, même dans ce qu’on ne comprend pas. À la maison des femmes, on invite souvent les femmes à explorer sans peur, à ne pas se limiter à un seul point de vue. Il y a évidemment beaucoup de choses absurdes, mais il faut laisser la curiosité te guider, aller là où le vent te pousse. C’est parfois déroutant, mais c’est comme ça qu’on grandit.
Oui, suivre son intuition, faire des erreurs aussi, c’est ce qui permet d’apprendre. Et c’est ce que j’aime à la maison des femmes : cette idée qu’on a le droit de se tromper, de tomber, mais surtout de comprendre pourquoi. Tant qu’on tire une leçon, c’est déjà une victoire.
Exactement. Il faut s’autoriser à dire : “J’ai merdé.” À la maison des femmes, on entend souvent des femmes dire ça avec pudeur, mais aussi avec force. Reconnaître ses erreurs, c’est déjà reprendre le contrôle sur son histoire. Et avec le temps, tout finit par s’intégrer.
Que signifie le terme féminisme pour toi ?
Oui, c’est ça. Il y a une différence entre savoir et intégrer une expérience. Et parfois, ça demande du temps. Alors il me reste deux petites questions pour la fin : que signifie le terme féminisme pour toi ?
Ah, vaste question ! Il y a un milliard de féminismes, mais le mien est très concret. C’est une manière de penser que rien n’est impossible pour une femme. C’est reconnaître qu’elle est aussi valable, compétente, puissante et libre qu’un homme. Pour moi, le féminisme, c’est cette égalité absolue des droits, des choix et des destins. C’est ce qu’on défend chaque jour à la maison des femmes, où chaque femme apprend à reprendre sa place et à croire en sa légitimité.
Mais le féminisme, c’est aussi un combat permanent. Tant que la société n’aura pas profondément changé, nos acquis resteront fragiles. Il faut rester vigilantes, parce qu’on peut reculer très vite. Regarde ce qui se passe avec les Talibans, qu’on croyait “2.0” — et pourtant, les femmes sont aujourd’hui encore plus enfermées qu’avant. À la maison des femmes, on rappelle souvent que la liberté n’est jamais acquise : il faut la défendre sans relâche.
Oui, c’est une très belle définition. Le féminisme, c’est une égalité de droits et de libertés, mais aussi une vigilance permanente. Et c’est pour ça que c’est important de connaître l’histoire. À la maison des femmes, comme dans Matrimoine Féministe, on transmet cette mémoire pour éviter de reproduire les erreurs du passé.
Exactement. Et puis, nous qui vivons en Europe, on a une responsabilité collective. On a la chance d’avoir accès à des droits, à des espaces comme la maison des femmes, à des libertés fondamentales que d’autres n’ont pas. Il faut s’en servir pour soutenir celles qui ne peuvent pas parler. J’ai lu récemment qu’en Iran, une loi encore plus dure contre les femmes refusant le voile avait été suspendue grâce à la pression internationale. Si la solidarité mondiale peut sauver ne serait-ce qu’une femme, alors ça vaut la peine. À la maison des femmes, on croit profondément à cette sororité universelle.
Oui, c’est très vrai. Si on reste dans l’individualisme, rien ne change. Mais si on s’unit, si on agit ensemble, on peut vraiment bouger les lignes. Le collectif, c’est notre plus grande force. Et c’est ce que je ressens à chaque fois que je rencontre des femmes de la maison des femmes : cette énergie commune, cette envie d’agir.
Oui, le sens du collectif, c’est essentiel. C’est ce qui fait la force de la maison des femmes, justement : cette intelligence collective qui transforme la douleur en action, et la peur en puissance.
Qui aimerais-tu voir au micro de Matrimoine Féministe ?
Merci beaucoup, Ghada. C’était vraiment un échange passionnant, rempli de savoir, d’espoir et d’engagement. Et pour finir, qui aimerais-tu voir à mon micro dans un prochain épisode de Matrimoine Féministe ?
Je te proposerais Violette Perrot, ma directrice générale. C’est une jeune femme brillante, talentueuse, et surtout d’une nouvelle génération. Elle partage nos valeurs, mais avec une vision plus fraîche, plus audacieuse. Je pense qu’elle aurait beaucoup à dire, notamment sur le futur de la maison des femmes et sur la place des jeunes femmes dans le soin et le féminisme.
Merci pour cette superbe recommandation, j’ai hâte de l’inviter. Et merci encore pour ton temps, ta sincérité et ton partage. C’était un échange riche et profondément humain, comme ceux qu’on vit à la maison des femmes. Merci à toutes celles et ceux qui nous ont écouté jusqu’au bout !
Merci à toi pour ce matrimoine vivant et pour ce podcast engagé. Je te souhaite un très bel épisode à venir, et longue vie à la maison des femmes et à Matrimoine Féministe.
Merci beaucoup Ghada pour cet épisode sur la maison des femmes. À très bientôt, et ciao tout le monde !
INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES
Ses rôles modèles et ressources mises en avant
- Francine Leca
- Sylvie Pellemoy
- Simone Veil
- Marie Curie
- Mes deux grands enfants
- Il faut piocher partout : dans les livres, les films, les podcasts, les rencontres, même dans ce qu’on ne comprend pas.
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Épisodes complémentaires à écouter


