L’excision avec Ramata Kapo

l'excision
Sommaire

Bonjour, bonsoir à celles et ceux qui écoutent ce podcast hebdomadaire. Je suis en compagnie de Ramata Kapo, qui nous allons parler de l’excision. Ramata, je te laisse te présenter de la manière dont tu le souhaites.

Bonjour Esthel, en tout cas, merci pour l’invitation. Comme tu l’as si bien dit, je suis Ramata Kapo, j’ai 45 ans et je me considère encore jeune, mère de trois enfants et militante activiste sur la thématique des droits humains, en particulier les droits des femmes, notamment la lutte contre l’excision et les mutilations sexuelles féminines. Je suis ravie d’être ici aujourd’hui pour aborder ce sujet.

Je suis ravie de t’accueillir également. Tes engagements sont inspirants et font écho à Matrimoine Féministes. Pour commencer cet épisode, et dans la continuité de mon approche éducative du féminisme, j’aime définir les termes clés du sujet. Qu’est-ce que l’excision, aussi appelée mutilation génitale féminine ?

Qu’est-ce que l’excision ?

Donc, l’excision, c’est un terme qui est utilisé comme un terme générique. C’est un type de mutilation sexuelle féminine pratiqué sur la femme pour des raisons non médicales. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé, les mutilations sexuelles féminines sont des actes perpétrés sur le corps de la femme pour des raisons non médicales.

L’excision fait partie des types de mutilations : il en existe quatre au total. Vous avez la clitoridectomie, appelée type 1, qui consiste à couper le gland du clitorisL’excision, qui correspond au type 2, est la forme la plus répandue dans le monde. Environ 85% des femmes ayant subi des mutilations sexuelles féminines ont subi une excision. Cela consiste à couper le gland du clitoris, accompagné des petites ou des grandes lèvres.

Il existe également l’infibulation, qui correspond au type 3. Cette pratique consiste à accoler les lèvres entre elles afin d’empêcher la femme d’avoir des rapports sexuels. Enfin, il y a le type 4, qui regroupe toutes les formes précédemment citées lorsqu’elles sont réalisées de manière médicale ou tout autre acte pratiqué sur le corps de la femme sans raison médicale.

Pourquoi l’excision est pratiquée ?

En effet, c’est vraiment triste et horrible ce qui arrive aux femmes. C’est une véritable remise en question des droits humains, d’autant plus que, dans la majorité des cas, l’excision est pratiquée sur des jeunes filles qui ne sont même pas conscientes de ce qui leur est imposé. Pour compléter ce sujet, j’aimerais savoir pourquoi l’excision est pratiquée, alors que, comme tu l’as mentionné, elle repose sur des raisons non médicales. Où est-elle pratiquée ? Qui la pratique ? Et quelle est son origine  ?

D’accord, je vais t’expliquer cela en plusieurs parties, car c’est un sujet complexe. Déjà, pourquoi est-elle pratiquée ? Dans la plupart des pays et communautés qui perpétuent cette tradition, l’excision est considérée comme un rite de passage ou un acte culturel visant à garantir la virginité ou la pureté de la femme. Dans ces sociétés, le terme même de mutilation n’est pas utilisé.

On parle plutôt de purification, c’est-à-dire que l’on considère qu’on « purifie » la femme pour qu’elle passe de l’enfance à l’âge adulte. C’est un rituel initiatique ancré dans certaines cultures. Aujourd’hui, l’excision est pratiquée sur presque tous les continents. Environ 230 millions de femmes dans le monde vivent avec une mutilation sexuelle féminine.

Ces femmes sont réparties à travers le monde, mais on observe une prédominance sur le continent africain, qui est d’ailleurs le plus visible sur cette question, car il fournit des statistiques et permet la mise en place d’actions de sensibilisation.

Pour répondre à ta question, lorsqu’on analyse l’excision, on comprend qu’il s’agit avant tout d’un contrôle du corps des femmes. Même si certains parlent de purification, il est indéniable que l’on porte atteinte à leur intégrité physique. Cela entraîne de nombreuses complications. La plus grave est la mort.

Comme je l’ai expliqué plus tôt, l’excision consiste à couper un organe vital, le clitoris, ce qui peut provoquer des hémorragies fatales. Si la femme ne meurt pas des suites de cette intervention, elle devra faire face à des conséquences médicales toute sa vie : douleurs vulvairesinfections, voire un risque accru de maladies sexuellement transmissibles.

Il y a aussi des conséquences psychologiques. Comme tu l’as mentionné, l’excision est souvent imposée à des jeunes filles, parfois dès la naissance, jusqu’à l’adolescence. À cela s’ajoutent des répercussions sexuelles. On parle de mutilation sexuelle féminine, car l’objectif est avant tout de contrôler la sexualité des femmes.

Le clitoris a pour principale fonction de procurer du plaisir sexuel. Le fait de le sectionner impacte directement la capacité de la femme à ressentir du plaisir. Certaines ne ressentent plus rien lors des rapports sexuels. Derrière cela, il y a l’idée de préserver la virginité et d’empêcher toute infidélité.

L’excision, qui trouve son origine dans des traditions culturelles anciennes, existe depuis des millénaires. La plus ancienne trace connue de l’excision a été découverte sur une momie égyptienne, ce qui montre qu’elle existait bien avant l’apparition des grandes religions. C’est un phénomène profondément ancré dans les coutumes, ce qui rend sa lutte complexe et son éradication difficile.

Le plaisir féminin quand on est victime de l’excision

Merci pour cette présentation très complète. J’espère qu’un jour nous parviendrons à l’éradication de cette pratique. En t’écoutant, une question me vient à l’esprit : je sais qu’il existe des chirurgies reconstructrices après l’excision. Comment fonctionnent-elles ? Une femme peut-elle retrouver son plaisir sexuel après l’intervention, ou cette relation reste-t-elle toujours compliquée ?

La première chose à savoir, c’est qu’en effet, certains médecins, notamment le professeur Foldes, ont mis en place une technique visant à réexposer l’organe du clitoris.

Le clitoris est un organe dont la connaissance reste encore partielle, bien qu’il ait fait l’objet de nombreuses recherches ces dernières années. Il mesure entre 8 et 14 centimètres, avec une partie interne et une partie visible, appelée le gland. Lorsqu’une mutilation est pratiquée, par exemple l’excision, seule la partie visible du clitoris est sectionnée, tandis que la partie interne demeure intacte. L’objectif de l’opération est donc d’ouvrir la cicatrice laissée par l’excision, afin de tirer une partie du clitoris interne pour reconstruire un gland clitoridien. C’est l’aspect médical de cette intervention.

Cet acte chirurgical permet aux femmes victimes de mutilations sexuelles féminines d’obtenir une réexposition du clitoris. Toutefois, il est essentiel de comprendre qu’une fois le gland clitoridien coupé, il ne repousse pas. L’intervention ne consiste pas à le recréer, mais à exposer une partie du clitoris interne.

Concernant le plaisir féminin, il est fondamental de rappeler qu’il s’agit d’un phénomène complexe. Aujourd’hui, nous savons que de nombreuses femmes, qu’elles aient été mutilées ou non, éprouvent des difficultés à atteindre le plaisir sexuel. Ce dernier ne dépend pas uniquement de la présence ou de l’absence du clitoris visible.

Certaines femmes possédant un clitoris intact ne ressentent pas nécessairement de plaisir lors de leurs rapports sexuels, tandis que d’autres, ayant subi une mutilation, peuvent être épanouies sexuellement.

Pour moi, il s’agit avant tout d’un travail d’éducation à la sexualité, ainsi que d’un dialogue au sein du couple, quelle que soit la configuration relationnelle. La section du clitoris peut certes impacter le plaisir sexuel, mais j’ai rencontré des femmes mutilées qui éprouvent du plaisir, tout comme d’autres ayant bénéficié d’une réexposition clitoridienne sans parvenir à retrouver un plaisir clitoridien.

C’est pourquoi un accompagnement pluridisciplinaire est nécessaire, associant un suivi psychologiquesexologique et médical.

Les premières étapes pour se faire accompagner

Quelles sont les premières étapes à suivre dans cet accompagnement complet et pluridisciplinaire dont tu parles ?

La première chose à savoir, c’est que, paradoxalement, une femme ayant subi l’excision ne sait pas toujours précisément quel type de mutilation elle a subi.

Ce que je recommande avant tout aux femmes concernées, c’est de prendre rendez-vous avec un chirurgien ou un gynécologue spécialisé sur cette thématique. Ces professionnels pourront leur fournir des informations précises sur le type de mutilation qu’elles ont subi. Pour cela, elles peuvent consulter le site d’Excision Parlons-en ou encore celui du GAMS, qui proposent des cartographies des centres de soins en France et permettent de prendre rendez-vous avec des médecins spécialisés.

La seconde étape essentielle est d’oser en parler. Les mutilations sexuelles féminines sont un sujet entouré de tabous, et beaucoup de femmes n’osent pas s’exprimer sur ce qu’elles ont vécu. Pourtant, il est primordial de pouvoir échanger avec d’autres victimes, notamment au sein de groupes de parole.

Chez Excision Parlons-en, nous avons constaté que briser le silence est un levier fondamental dans la lutte contre l’excision. Trop de femmes se retrouvent isolées, alors qu’elles ont besoin d’être écoutées et soutenues. C’est pourquoi nous avons mis en place des cercles de parole, où elles pourront partager leur expérience, parler de l’excision, mais aussi de sexualité, si elles le souhaitent.

Ces rencontres débuteront en décembre. Si certaines femmes écoutent ce podcast et souhaitent parler de l’excision, obtenir des informations, ou simplement échanger, elles peuvent nous contacter.

Comme tu l’as mentionné, l’excision est aussi un traumatisme profond. Certaines femmes ont été excisées alors qu’elles étaient bébés et n’en gardent aucun souvenir conscient. D’autres, ayant subi cette mutilation entre 3 et 14 ans, se rappellent précisément de l’événement, ce qui peut entraîner des troubles psychologiques durables.

Il est donc nécessaire qu’elles puissent être accompagnées par des psychologues pour entamer un processus de guérison émotionnelle.

Enfin, la dernière étape, selon moi, concerne la réparation chirurgicale. Une fois qu’un suivi médical, un accompagnement psychologique et un travail sur la sexualité ont été réalisés, certaines femmes ressentent le besoin de recourir à une opération de réexposition clitoridienne. En France, plusieurs centres spécialisés proposent un accompagnement pluridisciplinaire aux femmes victimes de l’excision.

Je pense notamment à l’unité de soins de Montreuil, à la Maison des Femmes de Saint-Denis et à d’autres Maisons des Femmes en France. Il ne faut pas non plus oublier l’Institut Women’s Safe, situé dans les Yvelines (78), où exerce le professeur Foldes, à l’origine de la pratique chirurgicale de reconstruction clitoridienne.

Quelle a été ton expérience sur l’excision?

En tout cas, merci beaucoup pour tous ces conseils. Ils sont vraiment précieux. Comme tu parlais d’expérience, j’aimerais connaître la tienne. Je tiens également à te féliciter d’oser prendre la parole sur ce sujet sensible et d’en avoir fait l’objectif de ta vie, afin d’aider d’autres femmes et de les sensibiliser. C’est une démarche admirable.

Merci beaucoup, Esthel. Mon expérience n’est pas particulièrement complexe, mais je suis une femme directement concernée par l’excision. J’ai été excisée dans mon pays d’origine alors que j’étais bébé, donc je n’en ai aucun souvenir conscient, comme je l’ai mentionné plus tôt. Mais, comme le dit une thérapeute avec qui je travaille, les traumatismes peuvent être oubliés par l’esprit, mais le corps, lui, n’oublie jamais ce qu’il a subi.

C’est un traumatisme indélébile, inscrit à vie dans notre corps. Ce qui m’a fait réagir, ce qui m’a poussée à travailler sur ce sujet, à prendre la parole et à oser parler de mon intimité, c’est l’absence de discussion autour des mutilations sexuelles féminines. Ce sujet reste encore tabou.

D’ailleurs, j’en profite pour te remercier infiniment de m’avoir invitée sur ton podcast pour en parler, car il est encore trop peu abordé dans les médias. Il est souvent perçu comme un sujet lointain, un problème qui ne concernerait que des régions reculées.

Or, il ne faut pas oublier qu’aujourd’hui, en France, environ 125 000 femmes vivant sur le territoire ont été victimes de l’excision. Certaines sont nées en France, et pourtant, elles ont été mutilées. Ce n’est pas un sujet exotique, mais un véritable enjeu de droits humains et, avant tout, un droit fondamental des femmes.

C’est pourquoi il est essentiel pour moi d’être présente sur ces sujets, de prendre la parole et, d’une certaine manière, de délier les langues. Peut-être que certaines jeunes filles ou femmes qui écouteront ce témoignage se reconnaîtront et comprendront que l’excision n’est pas une fatalité.

Nous sommes bien plus que ce que nous avons subi. Nous sommes bien plus que des victimes. Nous pouvons être des militantes, des femmes accomplies, et nous n’avons pas à nous sentir marginalisées pour avoir été victimes d’une tradition qui nous dépasse.

Ce sont ces enjeux, cette aspiration, qui me poussent aujourd’hui à m’exprimer sur ce sujet. En tant que mère, j’ai aussi une jeune fille, et je veux que, dans le monde de demain, elle puisse disposer librement de son corps, qu’elle ait un droit absolu à son intégrité physique. Et je souhaite que ce droit soit garanti pour toutes les petites filles du monde.

C’est un témoignage puissant, empreint de valeurs essentielles. Il est nécessaire de libérer la parole à ce sujet, car, comme tu l’as mentionné, d’autres femmes et jeunes filles pourront s’identifier à ton discours et se dire : « Je ne suis pas seule. »

D’ailleurs, je voulais rebondir sur ce que tu as dit précédemment : je suis ravie que tu sois au micro de Matrimoine Féministe, et très heureuse de t’accueillir ici.

Pourquoi l’excision est encore tabou ?

Pourquoi les médias ne parlent pas suffisamment de l’excision ? Et pourquoi les mutilations sexuelles féminines restent-elles encore un tabou en 2024 ?

Les médias en ont parlé, mais uniquement lorsqu’il s’agit de sujets à sensation. Pendant un certain temps, les mutilations sexuelles féminines ont été médiatisées en raison de l’affaire d’une exciseuse exerçant en France dans les années 2000. Cette affaire a suscité un regain d’intérêt, entraînant l’adoption de lois criminalisant et pénalisant l’excision.

Cependant, comme je l’ai mentionné plus tôt, ce sujet est encore teinté de nombreuses idées reçues. Beaucoup pensent que cela concerne uniquement des pays lointains. Lorsqu’on parle de violences sexuelles, on évoque plus facilement l’inceste ou le viol, mais les mutilations sexuelles féminines restent une niche dans ces discussions et sont rarement abordées.

Chez Excision Parlons-en, nous avons lancé en 2016 une campagne de sensibilisation, mais j’aimerais qu’elle ait le même impact médiatique que celle menée aujourd’hui sur l’inceste. Il serait essentiel que des chaînes nationales comme TF1 ou France 2 s’emparent du sujet pour sensibiliser un public plus large.

Car il ne faut pas l’oublier : aujourd’hui, dans le monde, une petite fille est excisée toutes les quatre minutes.

Il est donc primordial de parler de ce sujet et de le faire avec justesse. Je condamne bien évidemment l’excision, qui est néfaste pour les femmes, mais je refuse toute stigmatisation des communautés qui la pratiquent. Ce sujet est bien plus complexe qu’il n’y paraît. Il s’agit d’un travail de longue haleine, d’une transformation culturelle : comment faire abandonner l’excision ancrée dans des générations qui n’ont connu que cela ?

Mais nous avançons, lentement, mais sûrement. Il faut des femmes comme moi, et aussi des hommes, car leur rôle est souvent oublié dans cette lutte.

Les hommes sont concernés par l’excision : il s’agit de leurs épouses, de leurs filles, de leurs sœurs, de leurs cousines. Leur engagement est essentiel pour lutter contre l’excision profondément patriarcale.

Comment parvenir à cette transformation culturelle ?

Cela me fait réfléchir à ce que tu disais sur la difficulté d’arrêter l’excision, car elle est profondément ancrée dans certaines cultures. Comment peut-on parvenir à cette transformation culturelle sur plusieurs générations, dans l’espoir qu’un jour l’excision soit définitivement abandonnée ? Et comment encourager les hommes à devenir de véritables alliés dans cette lutte ?

C’est un travail de longue haleine, comme je l’ai mentionné. Nous agissons principalement en France, où des avancées significatives ont été réalisées. Nous bénéficions notamment du soutien du Ministère chargé de l’Égalité entre les femmes et les hommes, avec lequel nous avons signé une convention il y a plus de six ans. Ce partenariat nous permet de financer nos campagnes et nos actions de sensibilisation.

Pour moi, il s’agit avant tout d’un travail d’éducation, de changement de mentalité et de pédagogie. Il est nécessaire d’expliquer les conséquences que subissent les femmes concernées. Lors de nos échanges avec elles, nous constatons qu’elles sont conscientes des effets néfastes de l’excision, mais il faut leur montrer qu’abandonner cette tradition ne signifie pas renier leur identité.

Il est essentiel de leur faire comprendre que l’excision ne peut en aucun cas être un moyen d’éduquer une femme à la sexualité. Ce travail doit se faire avec humilité. Il ne s’agit pas d’arriver en terrain conquis en prétendant détenir la vérité, mais plutôt de donner aux communautés les outils pour qu’elles puissent elles-mêmes s’approprier ce sujet et devenir les moteurs du changement. C’est de l’intérieur que les mentalités évolueront.

En France, nous nous concentrons sur la sensibilisation, l’alerte et la communication. Mais sur le terrain, dans les pays concernés, des associations locales font un travail remarquable : elles œuvrent à l’éducation, à l’accompagnement, mais aussi à la reconversion des exciseuses. Car il faut comprendre que l’excision représente aussi une source de revenus pour certaines d’entre elles. C’est pourquoi il est nécessaire d’impliquer des dignitaires religieux, des responsables communautaires et des institutions dans cette démarche.

Comment rallier les hommes à cette cause ?

Concernant les hommes, même si l’excision est généralement pratiquée par des femmes, elle est réalisée dans l’intérêt du groupe, pour assurer qu’une fille soit « mariable » et puisse être acceptée dans sa communauté. L’objectif étant de garantir qu’elle reste vierge avant le mariage, les hommes ont donc un rôle clé dans cette dynamique. De plus, dans certaines sociétés, ils occupent des positions d’autorité, comme chefs de village, ce qui leur donne un poids décisionnel important.

Il est donc indispensable qu’ils deviennent nos alliés. Je regrette que nous ne comptions pas encore assez d’hommes engagés, même si certains font un travail exceptionnel. Je pense notamment au Dr Mukwege et à d’autres activistes qui se battent pour cette cause.

Tu as tout à fait raison de souligner qu’il est essentiel d’éviter une approche paternaliste. On ne peut pas arriver avec nos propres référentiels culturels et vouloir imposer un changement. Il faut comprendre qu’il s’agit de réalités profondément différentes. C’est pourquoi il faut accompagner le changement de l’intérieur. Espérons que, petit à petit, de plus en plus d’hommes s’impliqueront dans ce combat.

Comment reprendre le pouvoir de sa sexualité ?

Et tu évoquais l’éducation à la sexualité. Que recommandes-tu aux jeunes filles et aux femmes pour qu’elles puissent mieux comprendre leur sexualité et reprendre le pouvoir sur celle-ci ?

Avant tout, il faut commencer par la connaissance de son propre corps. J’ai fait un constat alarmant : même en France, lors de mes interventions en milieu scolaire, notamment dans les collèges et lycées, je constate une grande méconnaissance de l’anatomie féminine. Quand je demande aux élèves de dessiner une vulve ou un pénis, le pénis est presque toujours bien représenté, alors que la vulve, quand elle est dessinée correctement, est un cas extrêmement rare. Ce manque de connaissance est d’autant plus problématique lorsqu’on parle des conséquences de l’excision, qui touche directement l’intégrité physique des femmes.

Cela montre un manque criant d’éducation sur la sexualité, qui est d’autant plus inquiétant que de nombreux jeunes se forment aujourd’hui via le numérique, et notamment à travers des sites pornographiques. Cette absence d’informations fiables nuit à la compréhension du plaisir féminin et renforce certaines fausses croyances. Dans le cas des femmes ayant subi l’excision, cette absence de repères aggrave encore plus la difficulté à se réapproprier leur sexualité.

À cela s’ajoute l’influence des religions – qu’elles soient catholiques, musulmanes ou autres – qui placent souvent sur les épaules des femmes la responsabilité de l’honneur familial, notamment à travers la virginité. Dans de nombreuses cultures où l’excision est pratiquée, cette pression sociale est utilisée comme justification pour perpétuer cette tradition. Il est donc essentiel de mener un travail de déconstruction afin d’aider les femmes à comprendre que cette pratique n’est pas une fatalité.

Les femmes doivent intégrer que leur corps leur appartient et n’appartient ni à la société, ni à une communauté. C’est particulièrement important pour celles qui ont subi l’excision, car elles doivent pouvoir se réapproprier leur corps et leur sexualité en dehors des normes qui leur ont été imposées. Elles doivent être libres de décider ce qu’elles souhaitent en faire, et cela passe par une éducation à la sexualité qui soit inclusive, bienveillante et basée sur des connaissances scientifiques et médicales solides.

Oui, je partage totalement ton point de vue, et cela me fait penser à l’affaire Mazan, dont le procès est en cours au moment où nous enregistrons cet épisode. Ce procès illustre à quel point le viol et la culture du viol sont ancrés dans nos sociétés, et comment le corps des femmes est trop souvent considéré comme un objet de possession. Dans cette affaire, la défense cherche même à remettre en cause le consentement de la victime, alors qu’elle avait été droguée et inconsciente au moment des faits. C’est terrifiant, et cela prouve combien il reste du chemin à parcourir pour que le corps des femmes, qu’elles aient subi l’excision ou non, soit respecté et protégé.

Tu évoquais aussi la pornographie, et cela me fait penser à l’existence de sites de pornographie éthique. Malheureusement, ces plateformes sont payantes, mais elles offrent une représentation plus réaliste de la sexualité, avec des corps variés, sans stigmatisation ni domination genrée. Penses-tu que ce type d’initiatives puisse être utile dans l’éducation à la sexualité, notamment pour les femmes ayant subi l’excision ?

Alors, pour être honnête, il y a deux concepts qui me posent problème : le terme « pornographie éthique » lui-même. Je ne comprends pas cette notion. Autant je peux entendre qu’il existe des outils pédagogiques pour l’éducation sexuelle, autant parler de pornographie éthique me semble contradictoire. Mais je suis d’accord sur le fait qu’il existe aujourd’hui des ressources innovantes pour éduquer à la sexualité de manière plus saine et inclusive, et c’est essentiel, notamment pour les femmes ayant subi l’excision et qui cherchent à retrouver du plaisir.

D’ailleurs, je suis arrivée à ce sujet presque malgré moi. Lorsque l’on parle de l’excision, on parle forcément du clitoris, et donc du plaisir féminin. Et inévitablement, cela amène à parler de sexualité. Les femmes qui viennent nous voir ou qui partagent leur témoignage abordent souvent la question de leur rapport à leur corps et de leur intimité. Il est donc essentiel d’intégrer ces aspects dans l’accompagnement des femmes concernées.

Pour moi, c’est un sujet fondamental, autant pour les femmes que pour les hommes. Il est nécessaire d’adopter une approche éducative sur ces questions, afin que chacun puisse disposer librement de son corps, dans le respect du consentement. Tu as utilisé un terme essentiel : le consentement. Je pense que c’est un sujet d’actualité qui n’est pas encore assez abordé.

Dans la pratique de l’excision, il est évident que l’on ne demande le consentement de personne. Et encore moins celui de la jeune fille concernée. Parfois même, les proches ne sont pas consultés. Comme je l’ai expliqué, l’excision dépasse largement l’individu, c’est un phénomène social et culturel profondément enraciné. Dans mon cas, j’ai été mutilée étant bébé, et à aucun moment mes parents n’ont eu leur mot à dire. La décision a été prise par ma grand-mère, comme cela se fait dans de nombreuses familles.

Cette question du consentement est centrale, que ce soit dans le cadre de l’excision, du viol, ou d’autres formes de violences. Il est fondamental d’en parler avec les jeunes filles et les jeunes hommes, pour leur apprendre à reconnaître ce qu’est un « oui », un « non », et toutes ces zones grises où le consentement est mal compris. Lors de mes interventions, j’essaie d’aborder ces sujets avec eux, et je constate que c’est une notion qui leur semble souvent floue.

Oui, et c’est un vrai problème. Ce devrait être quelque chose de simple à comprendre. Il existe une vidéo très connue sur le consentement, qui l’explique à travers l’exemple du thé. C’est très pédagogique : si une personne dort, on ne va pas lui forcer du thé dans la bouche. Elle dort, donc c’est évidemment un « non ».

Ce qui est aberrant, c’est que certaines personnes comprennent plus facilement cette notion avec une tasse de thé qu’avec un corps humain. On en revient toujours à cette réalité glaçante : dans certaines affaires, comme le procès Mazan qui se déroule en ce moment, on cherche encore à justifier l’injustifiable. La victime était droguée et inconsciente, mais on remet en question son consentement. C’est incompréhensible.

C’est exactement ça, et c’est un paradoxe effarant. On nous explique que tout le monde comprend le consentement avec une simple vidéo sur le thé, mais dans des affaires judiciaires comme celle-ci, on ne comprend toujours pas qu’une femme inconsciente ne pouvait pas donner son consentement. Cela prouve bien qu’au-delà des pratiques néfastes comme l’excision, le corps des femmes est encore un sujet de débat, un territoire sur lequel la société pense avoir un droit de regard.

Dans la sphère féministe, qu’il s’agisse de la lutte contre l’inceste, les violences sexuelles, ou le viol, une même réalité s’impose : la femme cesse d’être une personne pour devenir un objet. On se sent autorisé à en disposer comme on l’entend. L’excision en est une autre illustration : en enlevant le clitoris, on prive la femme de son plaisir, de sa liberté sexuelle, et on la cantonne au rôle de génitrice.

Finalement, quel est le message sous-jacent ? Qu’une femme n’existe que pour procréer. Au-delà des traditions culturelles, c’est un enjeu de société global. Aujourd’hui, avec la remise en question du droit à l’avortement dans certains pays, la culture du viol omniprésente, et le recul des droits des femmes, nous avons encore énormément de travail à accomplir. L’éducation populaire est essentielle pour déconstruire ces schémas oppressifs.

Je partage totalement ton point de vue. L’éducation peut réellement changer le monde. À travers ce podcast, j’aime semer des graines d’éveil féministe, et j’espère que cela pourra contribuer à faire évoluer les mentalités. D’ailleurs, puisque tu dois bientôt nous quitter, passons tranquillement à la conclusion de cet épisode sur l’excision.

Le mot de la fin

Mon mot de la fin, c’est avant tout un merci. Un immense merci, car briser le tabou autour de ces sujets est loin d’être facile. Recevoir une invitation pour parler de l’excision est toujours une immense satisfaction pour moi. Chaque fois qu’un média me donne la possibilité d’échanger sur cette question, je ressens une vraie reconnaissance et une motivation renforcée.

Ensuite, il y a l’espoir. Je ne suis pas seule dans ce combat, et je sais qu’il existe des personnes engagées qui portent des valeurs de justice, d’égalité et d’humanisme. J’ai également espoir en la jeunesse. Bien que confrontés à de nombreux défis, je crois profondément en leur capacité à faire bouger les lignes et à changer le monde.

Chez Excision Parlons-en, nous avons créé un réseau d’ambassadeurs, composé de jeunes engagés qui prennent la parole sur l’excision et d’autres sujets essentiels. Leur engagement est remarquable, et ils accomplissent des actions formidables.

C’est pour cela que je n’abandonne pas. J’aime beaucoup cette image du colibri, qui fait sa part, à son échelle, pour tenter d’éteindre un incendie. Si chacun apporte sa contribution, aussi petite soit-elle, nous pouvons collectivement bâtir un monde meilleur.

Exactement, un pas après l’autre suffit. Chaque petite action compte.

Qui sont tes rôles modèles ?

Mes rôles modèles sont nombreux. Le premier, et je ne vais pas être très originale, c’est ma mère. On oublie souvent de mentionner celles qui sont juste à côté de nous, alors qu’elles contribuent à changer le monde, à leur échelle. Lorsque l’on parle de rôles modèles, on cherche souvent des figures médiatiques, des femmes inspirantes, mais on oublie celles qui nous ont élevés et qui, chaque jour, font preuve de force et de résilience.

Pour moi, ma mère est une femme remarquable, car elle s’est toujours battue pour que ses filles et ses fils soient traités équitablement. Elle nous a transmis des valeurs fortes, en nous donnant à tous les mêmes chances de réussir dans ce monde. Elle m’a appris que l’égalité, ce n’est pas donner exactement la même chose à chacun, mais faire en sorte que chacun ait ce dont il a besoin pour avancer.

Parmi mes autres modèles, il y a également des femmes comme Oprah Winfrey, qui sont parties de très loin et ont surmonté des épreuves difficiles. Elles ont su transformer leur détresse en force, et c’est quelque chose qui m’anime profondément. Je suis convaincue que toutes les épreuves que nous traversons sont un carburant qui nous pousse à accomplir de grandes choses.

C’est ainsi que j’ai décidé de faire de l’excision, une expérience douloureuse, une force qui me permet aujourd’hui d’être la femme que je suis. Cela m’a donné le courage de prendre la parole sur des sujets cruciaux comme les droits humains, et en particulier les droits des femmes.

C’est magnifique ce que tu dis, et je suis totalement d’accord. On ne réalise pas toujours que des personnes proches de nous accomplissent des choses incroyables. On finit par voir cela comme une évidence, alors que si l’on prend du recul, c’est impressionnant. Je trouve très beau que tu considères ta mère comme un rôle modèle. Et j’en suis sûre, tu es toi-même un modèle pour beaucoup d’auditeurs et d’auditrices de Matrimoine Féministe.

Merci. Mais je pense que nous sommes toutes des rôles modèles. J’aime dire que chaque femme est une héroïne du quotidien. Nous nous soutenons les unes les autres, et c’est essentiel. Ces valeurs, mes parents me les ont inculquées, et elles restent fondamentales pour moi.

Quelles ressources recommanderais-tu aux personnes qui nous écoutent ?

Tout d’abord, je vous invite à nous suivre sur nos réseaux sociaux, notamment sur Instagram, via le compte Alerte Excision. Nous y travaillons chaque jour à briser le silence sur l’excision. Chacun peut se demander : « Que puis-je faire pour agir, pour apporter ma pierre à l’édifice ? » La réponse est simple :

  • Partagez nos publications
  • Likez et commentez pour donner de la visibilité au sujet
  • Devenez bénévole ou adhérent pour soutenir les actions que nous menons tout au long de l’année

Ensuite, je vous recommande vivement de consulter notre site internet : Excision Parlons-En. Vous y trouverez des informations détaillées, des témoignages, et des ressources pour mieux comprendre l’excision et ses conséquences.

Mais surtout, il est important de faire soi-même la démarche d’aller chercher l’information. Aujourd’hui, nous avons les moyens d’apprendre et de comprendre, alors si vous avez une question et que vous ne trouvez pas la réponse, n’hésitez pas à nous envoyer un message. Nous vous répondrons avec plaisir.

Que signifie le terme féminisme pour toi ?

C’est vrai que j’ai toujours du mal à trouver une définition unique du féminisme, car il englobe tellement de réalités et de luttes différentes. Pour moi, le féminisme, c’est avant tout la manière dont nous pouvons construire une société plus juste et véritablement égalitaire.

Mais au-delà de l’égalité, je parle surtout d’équité, un concept qui me semble essentiel. Bien sûr, l’égalité est une notion fondamentale, mais parfois, l’équité est encore plus importante. Il ne s’agit pas simplement de donner la même chose à tout le monde, mais plutôt d’apporter à chacun les ressources nécessaires pour qu’il puisse réellement être sur un pied d’égalité avec les autres.

Pour moi, c’est cela être féministe. Et être féministe, ce n’est pas opposer les femmes aux hommes. C’est réfléchir à comment nous avançons ensemble, dans un monde où chacun a sa place, avec des droits respectés et des opportunités justes.

C’est aussi une question de droits fondamentaux, et cela rejoint directement mon combat contre l’excision. Cette pratique est une atteinte à l’intégrité physique et à l’autodétermination des femmes. Lutter contre l’excision, c’est défendre le droit des femmes à disposer librement de leur corps, et c’est, à mes yeux, un acte profondément féministe.

Très belle définition.

Qui aimerais-tu voir au micro de Matrimone Féministe ?

J’ai une multitude de noms en tête, mais si je devais en citer une, ce serait Maryam Sissoko. Je l’ai rencontrée récemment, et elle m’a profondément marquée. Elle est la présidente du collectif Puissance de Femmes, et son travail est tout simplement remarquable.

Elle met en lumière celles que l’on appelle les héroïnes du quotidien et valorise l’immense travail que de nombreuses femmes accomplissent chaque jour, que ce soit dans les quartiers sensibles, dans l’entrepreneuriat, ou ailleurs. Elle mérite vraiment une place dans ton podcast, et j’espère sincèrement pouvoir l’entendre prochainement. Et surtout, dis-lui bien que c’est moi qui l’ai recommandée !

Merci beaucoup Esthel, et surtout merci à toutes celles et ceux qui nous ont écoutés jusqu’au bout.

Renseignez-vous sur l’excision, sur les mutilations sexuelles féminines, et si vous souhaitez vous engager, nous n’attendons que vous !

Au revoir, merci !

Un très beau message ! Tchao tchao tout le monde !

INFORMATIONS COMPLÉMENTAIRES

Ses rôles modèles et ressources mises en avant

Retrouvez Ramata Kapo :

Episodes complémentaires

Notez l'article
Notez-le post

À découvrir également

Cet article vous a plu ? Partagez-le !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *