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Le terrible destin des Radium Girls révélé par la BD de Cy chez Glénat

Radium Girls - Image de couverture
Sommaire

La bande dessinée Radium Girls de l’autrice Cy, publiée aux Éditions Glénat, se retrouve dans la rubrique bibliothèque de cette Féministhèque.

Elle retrace avec émotion et authenticité le destin tragique des ouvrières américaines du début du XXe siècle. Ces femmes, peignant les cadrans de montres avec du radium, ont été des victimes invisibles de l’industrialisation, en ingérant une substance mortelle.

Ce récit poignant révèle leur rôle crucial, souvent méconnu, dans l’évolution de la législation du travail aux États-Unis. À travers des recherches méticuleuses et une narration captivante, Cy rend un vibrant hommage à ces héroïnes oubliées, éclairant un pan sombre de l’histoire industrielle américaine.

Source principale : la vidéo #GlénatFIBD – Rencontre Live Radium Girls.

Crédits photos de l’article : Glénat (collaboration non commerciale)

Crédit photo de couverture : Portrait de Cy par Lisa Miquet

COMPRENDRE L'HISTOIRE DES RADIUM GIRLS

L'engouement pour le radium

Les Radium Girls étaient chargées de peindre les chiffres des cadrans de montres avec une peinture spéciale nommée Undark, riche en radium.

Pour beaucoup, le radium évoque les progrès médicaux et le nucléaire. Toutefois, ce qui est moins connu, c’est que le radium, découvert par Marie Curie à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe, est naturellement phosphorescent.

Contrairement aux substances phosphorescentes actuelles qui nécessitent une exposition à la lumière pour briller, le radium brille constamment dans l’obscurité.

Cette particularité a conduit à une grande popularité de la peinture au radium, en particulier pendant les guerres, où les montres phosphorescentes étaient essentielles pour les soldats. Elles leur permettaient de lire l’heure même dans la plus totale obscurité.

Dans les années 1920, aux États-Unis, l’engouement pour le radium était à son apogée. Sa nocivité était alors méconnue, et il se retrouvait dans une variété surprenante de produits, des laines pour bébés aux cosmétiques et toniques.

Dans ce contexte, de nombreuses femmes peignaient les cadrans au radium, pensant travailler avec une substance ordinaire.

Laine pour bébé au radium

La technique mortelle : lip-deep-paint

Une des techniques les plus courantes utilisées par ces ouvrières pour appliquer le radium était le lip-deep-paint.

Cette méthode visait à affiner la pointe du pinceau en le passant entre les lèvres avant de le tremper dans la peinture. Cette technique, bien que permettant d’obtenir un pinceau extrêmement fin, les exposait à ingérer directement du radium.

Malheureusement, elles s’empoisonnaient lentement sans le savoir. Les dangers du radium étaient initialement ignorés tant par la société dans son ensemble que par les entreprises qui employaient ces femmes.

Si certains comme le Dr. Harrison Martland ont tenté de mettre en lumière les dangers du radium, d’autres, à l’instar de Sabin Arnold von Sochocky, le créateur de la peinture au radium Undark, ont fait des avertissements timides qui n’ont pas suffi à mettre un terme aux agissements des entreprises.

La majorité restait indifférente, arguant que les symptômes observés chez les ouvrières étaient liés à d’autres infections, minimisant ainsi leur souffrance.

Radium Girls Monsieur Von Sochocky

Qui sont les Radium Girls ?

À travers son œuvre, Cy donne une voix à ces héroïnes oubliées – Grace Fryer, Edna Bolz, Katherine Schaub, Albina Maggia, Mollie Maggia et Quinta Maggia, et toutes celles tombées dans l’anonymat, faisant ainsi écho à leur histoire dans la mémoire collective.

Elle a délibérément choisi de ne pas représenter le côté macabre dans sa bande dessinée, estimant que l’esprit humain a une forte capacité de projection et n’a pas besoin de voir pour comprendre l’horreur des événements.

Cy a habilement construit cette œuvre autour de la dynamique de ce groupe de femmes. Plutôt que de s’attarder sur les dangers du radium, elle a choisi de mettre en avant la vie quotidienne, la solidarité, et la personnalité de ces ouvrières.

Cette approche ajoute une dimension humaine à une histoire déjà profondément touchante.

Radium Girls - présentations

Le compte à rebours mortel des Radium Girls

Combien de femmes ont perdu la vie à cause du radium ingéré ?

Selon Cy, dès l’instant où ces femmes ont trempé et lissé leur pinceau pour la première fois avec du radium, le compte à rebours de leur vie a commencé.

L’ironie cruelle de la situation réside dans le fait qu’elles peignaient des cadrans de montres, lançant ainsi littéralement une horloge sur leur propre existence.

Au quotidien, une femme pouvait lisser son pinceau des milliers de fois, peignant jusqu’à 250 cadrans par jour. En procédant ainsi, elles lissaient leur pinceau au moins une à deux fois par chiffre.

Imaginez un instant la quantité astronomique de radium qu’elles ont pu ingérer !

Si certaines de ces femmes, comme Molly, ont succombé rapidement à cause du radium, d’autres ont vu les effets se manifester bien des années plus tard.

La dernière Radium Girl décédée en raison du radium a perdu la vie en 2004, après avoir souffert de complications terribles, notamment au niveau des intestins, et de divers cancers.

Ainsi, même si certaines n’ont pas trépassé immédiatement après leur exposition, elles ont toutes été inévitablement touchées par les effets mortels du radium.

Les radium girls aux travail.

Attention à ne pas réinterpréter le passé

Il est crucial de ne pas réinterpréter le passé avec les idées contemporaines.

À cette époque, toutes les femmes n’étaient pas féministes ou en faveur du droit de vote. De plus, la société était très différente, et il y avait une ségrégation importante. C’est pourquoi, Cy n’a pas inclus de personnages noirs ou afro descendants.

Il est facile aujourd’hui de juger avec le recul, en se demandant comment ces femmes ont pu ignorer les dangers du radium.

Mais Cy nous invite à une réflexion plus profonde. En effet, elle fait l’analogie avec des produits actuels comme l’aloe vera ou l‘eau de coco, omniprésents dans notre quotidien et considérés comme bienfaisants.

Imaginez un instant si, demain, nous découvrions que ces produits étaient mortels.

Ne serions-nous pas abasourdis, en nous disant que nous n’aurions jamais pu le deviner ? Si c’était le cas, peut-être que dans un siècle, nos descendants se demanderont comment nous avons pu être si naïfs.

Radium Girls - droit de vote

La BD Radium Girls de Cy

Sa découverte avec le sujet

Le premier contact de Cy avec cette histoire remonte à une publication sur Twitter en 2017.

Elle confie, « C’est en tombant sur un article que j’ai découvert cette histoire. Au premier abord, j’avais cru à un girls band des années 50. Mais en réalité, c’était bien loin de cela. »

L’histoire de ces jeunes femmes, prises dans un tourbillon de souffrance après avoir travaillé avec du radium, l’a interpellée. Elle fut d’autant plus surprise que malgré leur impact significatif sur la législation du travail aux États-Unis, elles étaient restées dans l’ombre.

« Leur combat a mené au vote de lois cruciales pour les droits des ouvriers américains, notamment le droit individuel de poursuivre en justice son entreprise en cas de préjudice subi au travail, ainsi qu’à la création de l’OSHA, l’agence fédérale de protection des travailleurs américains.

Leur malheur a aussi permis une énorme avancée scientifique sur le radium et l’impact des radiations ».

L’élaboration de la BD

Cy a consacré près de trois ans à l’élaboration de cette bande dessinée sur les Radium Girls.

L’idée de transposer cette histoire en BD lui est venue notamment grâce à l’encouragement d’un dessinateur talentueux, Guy Delisle : « Quand il m’a suggéré d’en faire une BD, j’ai réalisé le potentiel narratif de cette histoire. »

Mais comme pour tout projet, il a fallu le vendre à un éditeur. « En cette période, des autrices comme Pénélope Bagieu commençaient à raconter des histoires de femmes oubliées. C’était un mouvement en pleine croissance et j’étais convaincue que l’histoire des Radium Girls avait sa place », explique Cy.

Après avoir monté un dossier, elle s’est orientée vers Glénat. Sa collaboration avec l’éditeur Olivier Jallabert et le directeur de collection Aurélien Ducoudray a été déterminante dans la finalisation de l’œuvre.

Si au départ, Cy envisageait une biographie pure centrée sur l’une des héroïnes, Grace, les échanges avec Aurélien l’ont poussée à adopter un angle différent.

Elle a décidé de raconter l’histoire à travers le prisme de ces femmes, se limitant à ce qu’elles connaissaient de leur époque. Cette perspective immersive a ajouté une profondeur unique à l’œuvre.

Un équilibre entre faits historiques et libertés scénaristiques

La création de cet ouvrage n’est pas simplement une retranscription historique, mais un équilibre soigné entre faits avérés et libertés scénaristiques.

Tous les événements relatés par l’autrice sont authentiques et se sont véritablement produits : la quête d’un avocat par les protagonistes, leur décès, ainsi que les diverses épreuves auxquelles les jeunes femmes ont dû faire face.

Chaque personnage présent dans la bande dessinée a réellement existé, y compris ceux qui occupent des rôles secondaires.

La principale liberté prise par Cy concerne le travail simultané de toutes les six filles au sein de l’entreprise. Si ces femmes ont réellement existé, elles n’ont pas toutes travaillé ensemble. Dans la narration, Cy les rassemble pour former une « bande de filles ».

En réalité, seules quatre d’entre elles ont travaillé en même temps, dont trois sœurs et leur amie proche. Malgré cela, toutes ces filles se sont réunies pour intenter un procès, ce qui prouve qu’elles se sont bien toutes rencontrées à un moment donné.

Radium Girls - injustice

LES DESSINS DE LA BD RADIUM GIRLS

L'atmosphère des années 20

Quand on pense « années 20 », on a souvent une image glamour en tête : Gatsby le magnifique, avec des robes à franges étincelantes. Mais Cy a dû faire face à une réalité différente. Les Radium Girls étaient des ouvrières, certes plus qualifiées, mais toujours loin du faste dépeint dans certains films.

Les recherches de Cy l’ont conduite vers des photos d’archives qui montraient ces femmes vêtues simplement : un chemisier, une robe longue. Pas de strass, pas de paillettes. Les Radium Girls appartenaient à une classe moyenne, vivant de leur salaire sans extravagance.

Pour recréer les intérieurs de l’époque, Cy s’est également plongée dans des photos d’archives. Quel type de poignée de porte utilisait-on dans les années 20 ? Avait-on de l’électricité dans tous les foyers ?

Malgré ses efforts pour être fidèle à la réalité, Cy reconnaît qu’il pourrait y avoir quelques anachronismes dans sa BD.

Cependant, la beauté de la bande dessinée réside aussi dans sa flexibilité. Quand une information lui manquait, comme l’apparence d’un canapé, elle savait comment décaler son plan pour s’en sortir.

La représentation des Radium Girls

Concernant leur représentation physique, Cy s’est basée sur des photos disponibles pour certaines, comme Grace et Catherine, mais a dû innover pour d’autres, comme Edna et les sœurs Maggia, et elle s’est inspirée de la seule photo de Molly, avec un grand sourire, pour la représenter.

L’un des fondements de l’œuvre de Cy est le livre The Radium Girls:The Dark Story of America’s Shining Women.

Kate Moore y effectue un travail méticuleux, basé sur des documents historiques comme les carnets intimes des Radium Girls. Cy a utilisé cette source précieuse comme base de son travail tout en y apportant sa touche personnelle.

Au-delà des faits, Cy a voulu montrer l’atmosphère de l’époque. Par exemple, elle imagine les filles se rendant à Coney Island ou s’amusant dans les speakeasy pendant la prohibition.

Même si rien n’indique qu’elles aient réellement vécu ces moments, ces scènes renforcent l’ambiance des années 20, une période de bouleversements et d’effervescence.

Le choix des couleurs pour la BD Radium Girls

L’un des points les plus marquants de la BD Radium Girls est son choix de couleurs.

Cy a opté pour des crayons de couleur aquarellables, un choix influencé par ses études. Ce médium, riche en pigments et malléable, permet une superposition de couleurs, offrant une profondeur unique à ses planches.

L’omniprésence du vert radium dans la BD symbolise l’omniprésence du radium dans la vie des Radium Girls. Cette technique offre également la possibilité de jouer avec les ambiances, sans se perdre dans une gamme de couleurs trop vaste.

Au-delà du dessin, la reproduction est un enjeu majeur pour un bédéiste. Glénat a confié ses planches à un reprographe professionnel pour garantir une haute qualité d’impression. Le choix du papier est également crucial.

Pour la BD Radium Girls, un papier glacé aurait été un désastre, ôtant toute la texture et le grain désirés par l’autrice. Heureusement, le produit final a non seulement été à la hauteur des attentes de Cy, mais il a également réservé une petite surprise : l’effet phosphorescent sur la couverture !

POUR CONCLURE SUR CETTE BD "Radium Girls" de Cy

À vous maintenant, chères lectrices et chers lecteurs : connaissiez-vous l’histoire des Radium Girls avant de lire cet article ? Avez-vous envie de découvrir la BD ? Et si c’est le cas, qu’en avez-vous pensé ?

Vos retours, vos impressions, vos réflexions sont essentiels pour que cette histoire continue à être racontée et partagée. Alors n’hésitez pas à laisser un commentaire et à participer à la conversation.

Ensemble, rendons hommage à ces héroïnes oubliées.

La photo du portrait de Cy sur la photo de couverture provient de ©Lisa Miquet.

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4 Responses

  1. Bravo Esthel !
    c’est toi qui m’a fait découvrir ce scandale sanitaire en me prêtant l’album de Bande Dessinée Radium Girls, j’ai adoré cette BD (c’est très émouvant de découvrir le triste destin de ces ouvrières)
    Il semble que ton article soit particulièrement bien rédigé car en le lisant j’ai ressenti le besoin de me replonger dans l’ album !

    Merci pour le partage de cette BD !

    1. Merci papa !
      Dans mes souvenirs, c’est toi qui m’avait offert la BD Radium Girls pour Noël 2021 (tu as toujours eu l’habitude de lire les BDs avant de me les offrir ahah)
      Je suis contente que tu aies apprécié mon article héhé
      Je pourrai te prêter ma BD à nouveau !!

  2. article très intéressant sur les Radium Girls et touchant …..
    c’est bien d’avoir mis en lumière cette destinée tellement injuste
    ces femmes sacrifiées pour l’avancement du progrès
    bien triste

    1. Je partage totalement ton ressenti maman… J’ai vraiment eu de la peine pour ces femmes… Elles ne méritaient pas un tel destin

      En tout cas j’ai trouvé la BD Radium Girls de Cy très belle, car elle se concentrait avant tout sur l’amitié qui les liaient et puis elle a contribué à rendre visible leur histoire, pour qu’on se souvienne d’elles

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