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Peau d’homme : un roman graphique qui interroge l’identité et le genre

Peau d'homme
Sommaire

Peau d’homme (dont le titre rappelle le conte Peau d’âne de Charles Perrault) est un roman graphique écrit à quatre mains par le scénariste Hubert (de son vrai nom Hubert Boulard) et le dessinateur Zanzim (alias Frédéric Leutelie dans la vie). Il a été publié en juin 2020, quelques mois après le suicide de son scénariste.

Depuis sa publication, Peau d’homme s’est écoulé à plus de 220 000 exemplaires (en comptant les traductions : Brésil, Croatie, Hongrie, États-Unis, bientôt le Japon…) et grandement récompensé : Grand Prix RTL, prix de la BD du Point, prix Landernau et Grand prix de la critique ABCD…

Peau d’homme trouve sa place dans la Féministhèque de mon site, section bibliothèque.

Sources : Toute la culture, Glénat, Planète BD, Au pays des caves trolls, Actuabd, Huffington Post, Le point, BFMTV, Ouest France.

Résumé de Peau d'homme

Bianca est une jeune fille de bonne famille, promise à Giovanni, un jeune et beau marchand. Pendant la Renaissance Italienne, les mariages arrangés sont coutumes. Pourtant, Bianca aimerait apprendre à connaître davantage son fiancé avant de l’épouser… Ce qui lui est possible de faire grâce à une Peau d’homme transmise de mère en fille depuis plusieurs générations… En l’essayant, elle prend l’apparence de Lorenzo et sous ses traits entame une liaison avec Giovanni (qui ignore que Lorenzo et Bianca sont la même personne). Et c’est ainsi que s’enchaînent quiproquos et scènes cocasses.

Hubert parle de lui à travers cette histoire. Il était homosexuel et le fait de faire un miroir entre la morale de la Renaissance et celle de notre société actuelle nous permet de nous questionner : pourquoi les femmes devraient-elles avoir une sexualité différente de celle des hommes ? Pourquoi leur plaisir et leur liberté s’accompagnent de mépris et de coercition ? Comment la morale peut devenir un instrument de domination à la fois injuste et inconsciente ?

Peau d’homme aborde les thèmes du sexisme à l’homophobie, en passant par l’intolérance religieuse, le fanatisme, la transidentité, la liberté des mœurs, la liberté au sens large, la tolérance et la différence entre les femmes et les hommes. 

Peau d'homme - Lorenzo
Peau d'homme : Bianca et sa "marraine la fée"

La rencontre entre Hubert et Zanzim

Zanzim et Hubert se sont rencontrés pour la première fois dans les années 1990, lors d’une soirée costumée (le fil rouge de Peau d’homme d’une certaine manière) pendant leurs études aux Beaux-Arts de Angers. « Il portait un énorme chapeau en nuage, avec des flocons attachés qui tombaient. Moi j’étais en monstre des marais avec un costume que j’avais fait en pack bulle »

C’est grâce à un ami commun, Yoann Chivard (l’un des dessinateurs de Spirou) qu’ils ont pu se croiser à nouveau et travailler ensemble. Hubert avait beaucoup d’histoires à raconter et Zanzim réalisait plutôt des illustrations pour enfants à ce moment-là.

Leur première collaboration ensemble remonte à 2002 avec Les Yeux verts. A cette époque, ils débutent tous les deux : c’était le premier scénario de Hubert et Zanzim cherchait sa manière de dessiner. Le contraste entre son style de dessin très naïf et l’univers gothique et onirique d’Hubert rend le tout saisissant.

Ensemble, ils ont imaginé une demi-douzaine d’albums dont : La Sirène des pompiersMa vie posthume et L’Île aux femmes

Au fil du temps, leur manière de travailler s’est affinée : Hubert racontait son histoire à Zanzim pendant des heures, et à l’aide de litres de cafés, ils rebondissaient sur les propos de l’un et l’autre. Ensuite, Zanzim l’encourageait à synthétiser un maximum les dialogues, édulcorer les scènes trop trashs et accentuer celles qui jugeaient trop fades.

Les yeux verts de zanzim et hubert
Avant Peau d'homme, les yeux verts

La genèse de l’oeuvre

Au fur et à mesure de leurs collaborations, ils se sont mutuellement apprivoisés et ont construits une belle amitié.

Un jour, Zanzim a confié à Hubert « Le jour où tu décideras d’écrire une histoire autobiographique en BD, je veux que tu me choisisses comme dessinateur ». Il souhaitait dessiner l’histoire intime de son ami qui relaterait sa vie, son adolescence compliqué, sa période gothique et son homosexualité. Il voyait quelque chose qui se passerait en 1970-1980.

En 2013, à l’époque des manifestations contre le mariage pour tous, Hubert l’appelle très en colère. Il se sentait oppressé, il avait l’impression d’être pourchassé un peu comme une chasse aux sorcières « Tu voulais faire une BD qui parle de moi ? Eh bien je suis prêt ! Je vais écrire un brûlot qui va s’appeler “Débaptisez-moi”. »

Zanzim découvre une autre facette de son ami : colérique, apeuré et combatif. Avec du recul, il prit la mesure de sa peur et de sa colère, ayant l’impression d’être dans le film L’invasion des profanateurs de 1979, où les possédés montrent du doigt les « pas comme eux ». Prêt à relever le défi, il attend le brûlot de Hubert… Qu’il trouve beaucoup trop violent et éloigné de son univers habituel… manquant de fun et de poésie. Il encourage son ami à livrer une version moins virulente.

Trois mois plus tard, Hubert revient vers lui et lui annonce qu’il a tout changé ! Il lui pitche l’histoire de Peau d’homme… Et c’est le coup de cœur pour Zanzim ! « Il m’a pitché l’histoire. J’ai trouvé ça très frais et excellent. On sentait sa colère, mais c’était une manière de l’aborder qui était beaucoup plus subtile. J’ai tout de suite adhéré ». Hubert appréciait mettre en évidence le chaos de notre présent à travers des époques éloignées que sont la Renaissance ou le Moyen Âge. Cela est également représenté dans le conte décalé de Beauté ou le conte cruel appelé Les Ogres-Dieux.

Cela parlait de la même chose que son brûlot initial mais d’une manière beaucoup plus douce, subtile et beaucoup moins frontale. « Toute la colère de Hubert s’était transformée en un conte. C’était beaucoup plus solaire, beaucoup plus doux et beaucoup plus apaisé [que sa première idée].» Pour une fois dans sa carrière, Hubert propose même une fin positive – ce qui surprend le dessinateur: « Il ne voulait pas être moralisateur. Il voulait une histoire qui fasse un peu réfléchir, sans forcément donner toutes les clefs. »

En somme, c’est devenu un livre positif et profondément humain, tout en traitant des sujets comme le genre, la sexualité, la religion, la morale avec légèreté et humour. 

La BD dénonce notamment que la religion poussée à l’extrême peut devenir néfaste. Le regard sur l’Eglise est teinté de la propre histoire de Hubert, de son incompréhension par rapport au jugement. En tant qu’homme homosexuel, il ne s’est jamais senti complètement intégré… Bien sûr, si Hubert avait été le dessinateur, le message aurait été plus clivant. Zanzim qui n’a pas eu la même expérience a pu aborder ces sujets avec plus de distance.

La création de la BD a pris entre 4 et 5 ans. Il y avait toutes les planches à faire (l’album final totalise 160 pages) et Zanzim s’est occupé de la colorisation qu’il n’avait pas prévu de faire à la base.

Peau d'homme - Angelo
Peau d'homme, Lorenzo

Les choix artististiques

Zanzim n’est pas intervenu sur le scénario de Peau d’homme. Hubert avait écrit une cinquantaine de pages, plein de dialogues et après il donna la structure suite aux premières lectures, retours et feedbacks de Zanzim sur les difficultés qu’ils pouvaient rencontrer. Ici, c’était un grand nombre de personnages qu’il fallait pouvoir différencier aisément.

Les recherches de ce dernier se sont principalement orientées sur les personnages et notamment sur Bianca qui devait se métamorphoser en Lorenzo. Ils devaient être proches physiquement mais pas reconnaissable, seule la couleur des yeux pouvait les trahir.

L’idée de la blancheur pour Bianca était pour représenter la jeune femme innocente, la pureté, mais aussi parce qu’elle devait être différente de la couleur de peau de Lorenzo, qui est plus mate. On devine à la couleur de sa chevelure rousse, son ardeur. Son physique est volontairement androgyne pour donner cette impression de mélanger les genres, comme si Lorenzo était son jumeau (à la place d’un homme grand et viril).

Cette histoire de travestissement est avant tout une histoire d’amour peu importe l’enveloppe. Pour dessiner le personnage qui passe du féminin au masculin, Zanzim a utilisé un calque pour reporter les proportions et l’a seulement un peu épaissi.

Le dessinateur recherchait un dessin simple et moderne, des couleurs dans l’ère du temps sans être criardes. Hubert lui a accordé une totale confiance là-dessus alors même que c’était son domaine de prédilection.

Hubert était très érudit et à chaque fois qu’il travaillait avec quelqu’un, il fournissait énormément de documentations. Pour Peau d’homme, ce fut évidemment le cas, le scénariste a fournit une imposante iconographie, qui rassemblait des costumes, des tableaux, des photographies de l’Italie et de Florence (il s’était nourrit des villes qu’il aimait et qu’il avait visité), des caricatures médiévales, des intérieurs, des jardins, ainsi que tout un dossier de représentations de jeunes ébènes (« c’est de la doc pour Lorenzo » disait-il)

Dans son processus créatif, Zanzim s’immerge un maximum dans toute la documentation pour ne garder ensuite que l’essentiel et éviter de faire un copier-coller. Il s’est par exemple inspiré des tableaux de Giorgio de Chirico tout en gardant de la simplicité dans les perspectives. Dans Peau d’homme, il s’agit de perspectives axonométriques car elle permet un sens de narration de gauche à droite et de haut en bas.

L’ensemble devait être aérien et léger, ce qui explique l’absence de bordure de cases, pour faire écho à la liberté de Bianca. Zanzim s’est pris au jeu en faisant des clins d’œil entre les représentations d’époque et celles d’aujourd’hui. Et puis, une fois que le décor était planté, ils voulaient offrir un jeu très théâtral et donc laisser aux lecteurs et lectrices la possibilité d’imaginer le décor et de se faire leur propre histoire.

Peau d'homme - Lorenzo et Giovanni
Peau d'homme, Lorenzo et Giovanni

Les adaptations de Peau d’homme

La success story française de Peau d’homme n’a pas pu profiter à Hubert. 

« C’est un peu triste, mais on avait bouclé l’album la veille de sa disparition. » 

« La vie sans [lui] est très dure, confiait en 2020 le dessinateur Zanzim. S’il avait été là pour voir le succès que l’album a connu, on en aurait entendu parler très longtemps. Il a toujours cherché cette notoriété. »

Zanzim a du mal à vivre cette ébullition sans Hubert.« Il me laisse avec notre dernier enfant, que je dois élever seul. Avec sa mort, c’est comme une demi-victoire, pleine d’amertume. Je me sens parfois presque usurpateur, car je récolte les fruits alors qu’il n’est plus là. Dernièrement, mon éditeur m’a dit : « Il t’a laissé les clefs de la maison, à toi de gérer. » Ça m’a fait du bien. »

Peau d’homme en pièce de théâtre

« Qu’est-ce qui fait de nous un homme ? Qu’est-ce qui fait de nous une femme ? […] Qu’est-ce qu’on a à conquérir pour être à égalité ? Ce sont des questions qui m’intéressent vachement », abonde sa metteuse en scène, Léna Bréban, elle a fait de Peau d’homme une comédie musicale au théâtre Montparnasse où les chansons de Ben Mazué prennent régulièrement le relais de la narration.

« Moi, j’adore traiter des choses profondes, mais avec humour », confie-t-elle. Parmi ces sujets abordés également, la religion : « Ça me permet d’aborder tout un tas de thématiques comme ça, à quel point la religion peut être quelque chose d’extrêmement joyeux et bienveillant, mais à quel point quand elle est détournée par des gens malveillants, ça peut être le prétexte à entraver des libertés essentielles ».

Pendant un dîner avec Zanzim, Léna Bréban évoque de manière utopique, son amie de longue date, Laure Calamy, pour interpréter le rôle principal de Bianca. « Je l’adore » répondit le dessinateur, qui laissa carte blanche à la metteuse en scène. « C’est une très bonne adaptation. C’est assez fidèle. On retrouve les mêmes messages. Je n’avais pas pensé que ça pourrait devenir une comédie musicale. Les chansons (de Ben Mazué), comme on l’a fait dans la BD à partir de dessins naïfs, permettent de dire des choses très fortes. »

« Et elle est incroyable », assure Frédéric Leutelier, présent dès les premières représentations pour voir en action Laure Calamy. Césarisée en 2021 pour la comédie Antoinette dans les Cévennes et en têtes d’affiches : Une Femme du monde, Annie Colère, À plein temps, Mon Inséparable et Un Ours dans le Jura… Son rôle est extrêmement physique, elle est tout le temps sur scène et doit se changer de fille en garçon en quelques secondes, et elle a dû apprendre à chanter !

Les autres comédiens ne sont pas en reste : ils sont 9 pour 27 rôles ! C’était avant tout pour une question d’argent : payer 27 comédiens et diriger autant de monde, représentait une charge financière et mentale conséquente. Léna Bréban pense cependant qu’elle aurait procédé de la même manière avec un budget plus généreux.

Elle trouve fascinant qu’en quelques secondes, le comédien tel un caméléon s’adapte à un nouveau rôle, un nouveau costume et une attitude différente. C’est jouissif pour le public également ! Prenons celui qui joue le prêtre Angelo : il joue également le jeune homosexuel qui chante à la fin. Pour la metteuse en scène, il y a quelque chose de magique : « Et puis je suis fan du travestissement, des perruques. Ma costumière est un génie, les costumes sont magnifiques mais très faciles à enfiler, les robes n’ont qu’un zip, les tenues des membres du conseil sont comme des chemises de nuit qui se mettent en quelques secondes. Rien ne doit être compliqué. »

Léna Bréban a voulu se tenir au texte initial en prenant quelques libertés : la marraine de Bianca a un rôle plus important, elle a glissé des références à l’actualité en reprenant par exemple des propos de Donald Trump.

Peau d’homme au cinéma

En 2025, l’histoire de Bianca et de Giovanni sera en tournage pour être adaptée sur grand écran. C’est la cinéaste Léa Domenach (remarquée pour son biopic décalé Bernadette), qui a pris en main le projet.

« Ce sera une comédie musicale. Donc comme pour Bernadette, c’est un petit pari quoi ! », avait indiqué à Allociné Léa Domenach en octobre 2023. « C’est une BD assez politique, quelque chose sur le genre, sur la notion d’individu, sur la montée du fascisme religieux. C’est ça le gros projet suivant. »

Avec sa participation à Peau d’homme, Catherine Deneuve fait un clin d’œil à l’un des rôles emblématiques de sa carrière, celui de Peau d’âne en 1970. Elle donnera la réplique à Karin Viard, Laurent Stocker, la chanteuse Pomme et Eddy de Pretto.

Hubert aurait aimé que Peau d’homme devienne une adaptation au cinéma, parce que c’est une forme de consécration. En plus, la façon dont Peau d’homme est écrite était déjà très « cinégénique ». Hubert devait imaginer cela comme une comédie puisqu’il s’inspirait de films, comme Certains l’aiment chaud, de Billy Wilder. Et il pensait d’abord aux dialogues entre les personnages, avant d’imaginer la trame.

La suite de Peau d'homme

« Une troupe de marionnettes de Nantes travaille aussi sur une adaptation », annonce Zanzim, qui voit aussi ce succès comme « une belle revanche » : « On m’a toujours dit d’arrêter de lire des BD. » 

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