Le 27 juillet 2003, Marie Trintignant est plongée dans le coma à la suite d’une violente altercation. L’actrice tournait alors un téléfilm en Lituanie, quand un drame éclate dans la chambre 35 de son hôtel. À l’autre bout de la dépêche : Bertrand Cantat l’aurait poussée. Personne ne sait encore que la comédienne et le chanteur de Noir Désir sont en couple. Le choc est immense.
Anne-Sophie Jahn, co-réalisatrice du documentaire Le Cas Cantat sur Netflix (avec Zoé de Bussière, Karine Dusfour, Nicolas Lartigue), oeuvre présente dans la médiathèque, parle d’un « séisme médiatique » et d’une omerta tenace : « Beaucoup ont peur de parler. Mais cette histoire doit être racontée, telle qu’elle s’est réellement passée. »
Michelle Fines, journaliste envoyée spéciale à Vilnius, se souvient de l’atmosphère pesante : Bertrand Cantat, en garde à vue, apparaît effondré, menotté, tel « une bête traquée ». La stupeur est générale : comment un artiste aussi admiré, engagé, pouvait-il être impliqué dans un tel acte ? Bertrand Cantat, chanteur charismatique, poète maudit, suscite une fascination trouble.
Dominique Revert, ancien tourneur de Noir Désir, rappelle l’impact du groupe dans le paysage musical français. Sur scène, Bertrand Cantat dégageait une violence brute, une énergie quasi mystique, à la manière d’un Jim Morrison. Pour lui, l’artiste avait la mainmise sur les décisions du groupe. Pascal Nègre, ex-PDG d’Universal Music France, confirme : « On ne vend pas des millions d’albums par hasard. Il avait un charisme fou. »
Côté cinéma, Marie Trintignant est une figure incontournable. Pour Lio, amie intime de l’actrice, Marie brillait d’une intensité rare. Tendre, passionnée, poète, mère de quatre enfants, elle vivait à 100 à l’heure. « Ce n’est pas le cœur qui se partage, c’est le cœur qui grandit », disait-elle. Elle tombe sous le charme de Bertrand Cantat après l’avoir vu en concert, dans le cadre de ses recherches pour incarner Janis Joplin à l’écran.
Bernie Bonvoisin, réalisateur et ami de Marie, raconte leur première rencontre : un coup de foudre. Pourtant, cette histoire d’amour naît dans la complexité. Bertrand Cantat est alors marié à Kristina Rady, enceinte de leur deuxième enfant. À la clinique, Bertrand Cantat lui annonce son départ. Malgré la douleur, Kristina parle d’une séparation « loyale et respectueuse ».
Dans les coulisses, Agnès Tassel, maquilleuse, décrit une Marie exigeante, brillante, mais aussi profondément maternelle. La comédienne partage alors sa vie avec Samuel Benchetrit, avec qui elle prépare un projet sur Janis Joplin. Cette séparation aussi se fait dans l’amitié.
Mais ce que Lio regrette amèrement, c’est de ne pas avoir su. « Si je savais à l’époque ce que je sais aujourd’hui… j’aurais été plus utile. »
Que s'est-il passé dans la chambre 35 ?
Le 27 juillet 2003, Marie Trintignant est retrouvée dans un état critique et transportée d’urgence à l’hôpital de Vilnius. Son visage est méconnaissable, tuméfié, violacé, gonflé. Pour ses proches, c’est l’effroi. Richard Kolinka, l’un des pères de ses enfants, se souvient être arrivé dans un cauchemar éveillé. Il ne comprend pas ce qui a pu arriver à Marie.
L’amie et actrice Lio se souvient de ce moment avec douleur : « Elle était toute bleue, toute gonflée. C’était insoutenable. »
La journaliste Michelle Fines, envoyée sur place, explique qu’au début, les informations sont très limitées. Les réseaux sociaux n’existent pas encore, mais sur les blogs spécialisés en cinéma ou musique, les débats s’enflamment : l’inquiétude porte autant sur l’état de santé de Marie que sur l’avenir de Noir Désir, le groupe de Bertrand Cantat.
La question centrale est posée : que s’est-il passé dans la chambre 35 ? On attend que Bertrand Cantat s’exprime, lui qui, jusqu’ici, n’a jamais rien dit.
En mai 2003, Bertrand Cantat rejoint Marie Trintignant en Lituanie, où elle est en tournage depuis plusieurs semaines. Le couple s’installe dans une proximité constante. Andrieux Leliuga, assistant réalisateur, les voit arriver chaque jour ensemble sur le plateau. Ils s’embrassent, se promènent, s’enferment parfois dans la caravane. « Il ne voulait pas la laisser seule. »
François Catonné, directeur de la photographie, s’étonne de cette omniprésence : « Ce n’est pas courant qu’un compagnon reste deux mois sur un tournage. Il était clairement possessif. »
Le tournage est familial. La mère de Marie, Nadine Trintignant, est la réalisatrice. Son frère François est assistant, son fils Roman participe aussi au projet. Pour cette famille soudée, la présence de Bertrand Cantat n’est pas bien vécue. Nadine elle-même désapprouve sa présence quotidienne sur le plateau.
Agnès Tassel, maquilleuse, décrit Marie comme stressée. Même dans les moments de préparation, Bertrand Cantat intervient constamment. Marie, nerveuse, consultait son téléphone sans cesse.
Lio se souvient de son arrivée sur le tournage : « Elle mettait son téléphone sur vibreur dans sa botte pour ne pas louper ses appels. Elle a même manqué une scène pour lui répondre. » À Paris déjà, Bertrand Cantat contrôlait son espace mental. Il annulait les rendez-vous, accaparait son attention.
Un jour, Marie Trintignant confie à Lio : « Il est incroyablement jaloux. Il veut toujours savoir où je suis, ce que je fais. »
Le soir du drame, un message de Samuel Benchetrit – l’ancien compagnon de Marie – déclenche la fureur. Le SMS était professionnel, mais contenait une phrase tendre : « Appelle-moi quand tu peux pour le film. Je t’embrasse ma petite Janis. »
Pour Bertrand Cantat, c’est une trahison. Il avait tout quitté pour Marie, coupé les ponts avec Kristina Rady, la mère de ses enfants. Il lui reproche de ne pas faire de même avec Samuel. Selon Michelle Fines, c’est cette jalousie violente qui est à l’origine de la dispute fatale.
Trois heures avant le drame, la tension monte. Le tournage touche à sa fin, un cocktail est prévu. Andrieux Leliuga observe de loin une dispute. Il sent l’orage gronder, ne veut pas les laisser seuls.
Deux heures avant le drame, ils rentrent ensemble. Ils boivent de la vodka, fument des joints. Bertrand Cantat est nerveux. Il tente d’obtenir des réponses. Marie ne répond pas à ses questions. Il la prend par les épaules, la plaque contre un mur. Andrieux intervient, tente de les calmer. Il prend leurs mains et les entraîne dehors.
Une heure avant le drame, Andrieux Leliuga, assistant réalisateur, les laisse devant la porte de leur hôtel. « On se dit bonne nuit. Bertrand semblait apaisé. » Mais derrière cette façade calme, la tension couve encore.
Bertrand Cantat livre sa version en audition, le 23 juillet 2003. Il évoque une dispute autour de l’injustice qu’il ressentait : lui avait quitté Kristina Rady pour Marie, alors que Marie restait en contact avec son ex, Samuel. Selon lui, Marie l’aurait frappé et repoussé. En réaction, il perd le contrôle, la gifle, la saisit par le col, tente de la jeter sur le canapé, mais elle tombe au sol. Il parle d’une lutte, d’un accident aux conséquences dramatiques.
La journaliste Michelle Fines explique : « À ce stade, on part sur la thèse d’un accident. Il dit qu’elle s’est cognée la tête sur un radiateur. Mais on n’a que sa version. Marie, elle, ne pourra jamais parler. Elle est toujours dans le coma. »
La réalisatrice Anne-Sophie Jahn se souvient de l’impact médiatique : « Tout le monde parle d’accident. Personne ne doute encore, surtout pas les fans. »
Lio, elle, veut encore croire à un miracle : « J’y croyais encore. J’espérais qu’on allait sauver Marie. »
Du côté de Bertrand Cantat, l’inquiétude monte. Ses proches affluent. Les membres du groupe Noir Désir arrivent en Lituanie par avion spécial. Même Kristina Rady, son ex-compagne, se rend sur place.
Mais l’état de Marie Trintignant ne s’améliore pas. À la demande de sa famille, elle est rapatriée en France. Le verdict médical tombe : coma irréversible. L’espoir s’effondre.
Le docteur Stéphane Delajoux, neurochirurgien, annonce publiquement : « Madame Marie Trintignant est décédée à 10h20 des suites d’un œdème cérébral, malgré une tentative de réanimation. »
Richard Kolinka, ancien compagnon de Marie, est sous le choc. « Ce n’est pas possible », dit-il. Il pense à leur fils, à la douleur à venir.
Lors des obsèques, Jean-Louis Trintignant, son père, lit un texte bouleversant transmis par une femme : « Ne pleure pas celle que tu as perdue, réjouis-toi de l’avoir connue. » Un moment d’une émotion insoutenable. Lio se souvient : « Quand il a éclaté en sanglots, je ne l’oublierai jamais. Je voyais les enfants. »
L’hypothèse de l’accident s’effondre
L’enquête se poursuit. Jérôme Bonet, ancien chef de la brigade criminelle, l’explique clairement : « En matière criminelle, tout est doute. Notre objectif : établir la vérité. »
La pièce centrale du dossier : le rapport d’autopsie. Toute la vérité tient peut-être dans ce document.
Bernard Marc, médecin légiste, livre des conclusions accablantes. Marie Trintignant, 1m66, 60 kilos, présente de nombreuses lésions : hématomes, fractures, traces de strangulation. Lors de l’ouverture du crâne, les experts découvrent des souffrances cérébrales multiples, un hématome massif.
Michelle Fines, journaliste sur place, détaille les blessures : nez fracturé, lésions aux deux nerfs optiques, syndrome du bébé secoué. « C’est Bertrand Cantat qui a fait ça. Il l’a massacrée. »
« On parle de 19 coups. De coups répétés. De plusieurs minutes de violence. Pas quelques secondes. » Le rapport contredit formellement la thèse d’un accident.
Jérôme Bonet conclut : « Ce n’est pas une chute fortuite. Ce rapport le prouve. » Face à ces éléments, la justice lituanienne requalifie les faits en meurtre
Lio, toujours marquée par le choc, confie : « Je ne m’en suis jamais remise. Ça tourne encore dans ma tête. C’était épouvantable. »
L’enquête est confiée à Nathalie Turquet, juge d’instruction, et une équipe de policiers. Mais la scène de crime est en Lituanie, loin de Paris. Jérôme Bonet, chef de la section criminelle, explique : « On n’a pas la scène. Mais on obtient une autorisation pour aller interroger Cantat à Vilnius. »
8 août 2003 : deuxième audition de Bertrand Cantat. Cette fois, l’enjeu est énorme. Lors de la première, il avait minimisé. Mais les preuves médicales ne laissent plus de place au doute.
Frédéric Péchenard, directeur de la brigade criminelle à l’époque, le résume : « Il fallait le confronter à la réalité de ce que Marie avait subi. »
Bertrand Cantat change de version. Il reconnaît : « J’ai donné quatre, cinq, peut-être six gifles. De grosses baffes. J’étais hors de moi. Je portais mes bagues. » Il finit par avouer : « C’est de ma faute quelque part. Je l’ai frappée. Elle est morte à cause de moi. J’assume. »
Les médias parlent de “crime passionnel” et humanisent Bertrand Cantat
Michelle Fines commente : « Il pleure beaucoup. Et les journaux titrent aussitôt : “La poignante confession de Bertrand Cantat”. »
Anne-Sophie Jahn, la réalisatrice, s’interroge : « Il est décrit comme amaigri. On oublie que c’est un homme qui a tué une femme. Et pourtant, on éprouve de l’empathie pour lui. »
Le récit de Bertrand Cantat commence à évoluer. « Ça m’a dépassé », dit-il. Mais au fil des auditions, on sent une stratégie se dessiner. Celle de renverser la culpabilité.
Lio s’en souvient : « Il est intelligent. Il sait manipuler. C’est un pervers narcissique. »
Jérôme Bonet explique que la défense va chercher à créer un contexte émotionnel : « On dit que Marie lui a mis un coup de poing. Qu’elle a déclenché la dispute. »
Michelle Fines rappelle ce moment marquant où l’avocat de Cantat sort devant la presse : « Elle l’a frappé la première. Elle l’a attrapé. Il est tombé. » Une phrase qui va tout changer. Très vite, la presse reprend ces éléments. La victime devient agressive. Le rapport d’autopsie est éclipsé. Le débat médiatique bascule.
Anne-Sophie Jahn observe : « On commence à parler de légitime défense. De passion. De folie. Et Marie est présentée comme celle qui l’a rendu fou. »
L’avocat Georges Kiejman, représentant la famille Trintignant, tente de rétablir les faits : « Cette jeune femme frêle, 1m65, n’a pas pu mettre à terre un homme athlétique, entraîné. C’est insensé. »
Mais dans les médias, l’image s’inverse. Bertrand Cantat, l’homme effondré, devient presque une victime. On oublie que Marie Trintignant a été tuée à mains nues.
Frédéric Péchenard dénonce une autre stratégie : salir la victime. On évoque son passé amoureux, certains vont jusqu’à dire qu’elle était hystérique, fantasque, excessive. Anne-Sophie Jahn le dénonce clairement : « L’idée que les mots de Marie aient “castré” Bertrand Cantat. Que ses paroles aient été pires que ses coups. C’est honteux. »
Georges Kiejman rappelle que c’est un discours classique des hommes violents : la femme est coupable d’avoir déclenché la colère.
Pendant ce temps, la famille de Marie est en deuil, silencieuse. Et les soutiens de Bertrand Cantat occupent le terrain médiatique.
Des écrivains, des journalistes, des voix publiques relativisent les faits. Certains parlent d’un drame amoureux, non d’un crime.
Arnaud Viviant, journaliste aux Inrockuptibles, déclare : « C’est d’abord un drame, pas un meurtre. »
Le frère de Bertrand Cantat, lui, ne cache pas son mépris : « Ce n’était pas une fille modèle. Elle a eu plusieurs amants, quatre enfants de pères différents… ». Pour Anne-Sophie Jahn, l’émission animée par Pierre-Henri Harrisson, où ces propos sont tenus sans contradiction, marque un point de bascule : « On laisse Bertrand Cantat massacrer une seconde fois Marie Trintignant. »
Pour Anne-Sophie Jahn, réalisatrice du documentaire, une nouvelle ligne de défense s’impose dans l’affaire Bertrand Cantat : transformer un crime en tragédie romantique. Faire croire que Marie est morte par excès d’amour.
Bertrand Cantat lui-même prononce des mots glaçants : « Moi qui l’aimais tellement, elle qui m’aimait tellement… Elle m’a sauté dessus. Pourquoi il s’est passé ça ? » Une tentative de retourner le récit, de camoufler une violence insupportable sous les atours d’une relation passionnée.
Son avocat cherche à faire requalifier les faits en crime passionnel, car selon le droit lituanien, cette qualification divise par deux la peine encourue.
En France, les médias reprennent rapidement cette version : « Une histoire d’amour qui a mal tourné. »
Mais Richard Kolinka, ex-compagnon de Marie Trintignant, est catégorique : « On ne tue pas par amour. On tue par haine. »
Lio, indignée, dénonce : « Le seul discours relayé, c’est celui du crime passionnel. Et ça insinue qu’elle l’a un peu mérité. »
Anne-Sophie Jahn va plus loin : « Les mots “crime” et “passionnel” ne vont pas ensemble. Cette expression vient d’une époque où l’amour devait être tragique, où la violence masculine devenait presque romantique. »
Dans une société où la violence conjugale est encore trop souvent minimisée, Lio décide de prendre la parole publiquement pour défendre Marie. Elle lit un extrait bouleversant : « On ne lui a pas volé son amour. Il l’a tuée. Elle est morte le visage détruit, comme après un accident de moto à 120 km/h. »
Elle poursuit : « Tant que les femmes accepteront de souffrir au nom de l’amour, c’est foutu. »
Mais cette prise de parole n’a pas été sans conséquence : « Après ça, on m’a humiliée, traînée dans la boue. »
Michelle Fines, journaliste, souligne le courage de Lio : « Elle était seule à parler. Et dans un monde où la moindre femme en colère est taxée d’hystérique, c’était risqué. »
Les 7 heures “d’oubli” de Bertrand Cantat
Pendant cette deuxième audition, un autre élément troublant est évoqué : l’inaction de Bertrand Cantat après les coups.
Frédéric Péchenard, ancien directeur de la brigade criminelle, s’indigne : « Il l’a massacrée. Et ensuite, il l’a couchée. Mais il n’a rien fait. »
Jérôme Bonet le confirme : « Quand on est violent, mais qu’on est aussi conscient du danger, on appelle les secours. Lui, il ne l’a pas fait. »
La version de Bertrand Cantat ? « Je l’ai mise au lit, elle dormait. Elle avait le sommeil profond. J’ai tapoté son visage. Elle ne se réveillait pas. »
Mais le médecin légiste Bernard Marc est formel : « Il est impossible qu’une personne s’endorme paisiblement après une telle agression. On n’est pas dans un sommeil profond, on est dans un coma. »
Frédéric Péchenard ajoute : « Quand on est paniqué, on fuit ou on appelle à l’aide. Lui est resté. C’est étrange. »
Bertrand Cantat dit avoir nettoyé son visage, parlé à Samuel Benchetrit, évoqué les enfants. Il appelle ensuite Vincent Trintignant, le frère de Marie, via sa compagne Ruta Latinyte. Il est alors près de 4h du matin.
Vincent arrive vers 4h30. Il pense, à ce moment-là, que Marie dort profondément. Mais ce n’est que vers 7h que Bertrand Cantat appelle enfin un médecin.
Lio insiste : « Il savait qu’il l’avait frappée. Et il a attendu plus de 7 heures pour appeler. C’est de la non-assistance à personne en danger. »
Jérôme Bonet le confirme : « En France, il aurait pris une peine plus lourde pour cela. Mais en Lituanie, cet élément n’a pas été retenu contre lui. »
Vladimir Sergejevas, procureur lituanien, explique : « Il a tardé à appeler, c’est vrai. Mais nous avons considéré qu’il n’avait pas su évaluer la gravité. En revanche, au vu du rapport d’autopsie, nous avons requalifié les faits : il s’agit bien d’un meurtre. »
Michelle Fines conclut cette partie : « Il est désormais poursuivi pour homicide volontaire. 19 coups ont été portés sur Marie Trintignant. Bertrand Cantat risque 15 ans de prison. »
Le témoignage clé de Kristina Rady
Mars 2004, huit mois après la mort de Marie Trintignant, le procès de Bertrand Cantat s’ouvre à Vilnius, en Lituanie. Un événement hautement médiatisé. Plus de 150 journalistes sont présents, caméra à l’épaule, stylos affûtés. L’attention du monde entier est tournée vers cette salle d’audience.
Richard Kolinka, ancien compagnon de Marie, se souvient de l’ambiance oppressante : « Une meute en train de baver pour leurs articles. »
Nadine Trintignant, la mère de Marie, revient en Lituanie accompagnée de son fils Vincent, pour assister à l’audience et entendre la condamnation de celui qui a tué sa fille.
Michelle Fines, journaliste, décrit l’enjeu du procès : « Il ne s’agit pas seulement de juger un geste. Il faut comprendre : Bertrand Cantat est-il un homme violent ? Ce meurtre est-il un coup de folie ou le résultat de violences répétées ? »
Deux camps se font face dans le tribunal. Le clan Trintignant : Nadine, Vincent, le père de Marie, son fils Roman, et Samuel Benchetrit, l’ex-compagnon et père de l’un de ses enfants. Le clan Cantat : ses parents, Kristina Rady – son ex-femme – et les membres du groupe Noir Désir.
Samuel Benchetrit prend la parole pour défendre la mémoire de Marie : « Je suis là pour dire que la mère de mon fils n’est pas une hystérique. Ce n’est pas un meurtre d’amour. On ne parle pas comme ça de quelqu’un qu’on aime. »
Dans une salle sous tension extrême, Bertrand Cantat tente d’expliquer l’inexplicable. Il parle d’un amour absolu, s’adresse à la famille Trintignant en pleurant : « Je voulais leur dire mon désespoir. C’est insupportable de savoir leur souffrance. »
Mais pour Roman, le fils de Marie, ses excuses ne suffisent pas : « Il a tué ma mère. Ses excuses, c’est la moindre des choses. »
Richard Kolinka, lui, ne retient que l’évidence : « J’ai vu un grand lâche. »
Une figure centrale du procès émerge : Kristina Rady, ex-compagne de Bertrand Cantat et mère de ses enfants. Elle est attendue comme témoin clé.
Lorsqu’elle prend la parole, la salle est suspendue à ses lèvres. Elle déclare :
« Bertrand Cantat ne m’a jamais frappée. »
L’avocat tente d’insister, mais Kristina reste formelle. Elle affirme n’avoir jamais subi de violence de sa part. Elle se porte garante de son humanité, de sa pondération, affirmant même qu’elle ne pourrait pas défendre un homme violent étant engagée dans la cause des femmes.
Le 29 mars 2004, le verdict tombe. Bertrand Cantat est condamné à 8 ans de prison ferme pour le meurtre de Marie Trintignant.
Il ne montre aucune réaction. Sa culpabilité est reconnue, mais la peine est bien en-deçà du maximum encouru. En Lituanie, il risquait 15 ans. Kristina Rady, par son témoignage, a joué un rôle modérateur, influant fortement sur la sentence.
Selon l’avocat de la famille Trintignant, « Sans elle, la peine aurait probablement été plus lourde. Elle a contribué à renforcer l’idée d’un drame accidentel. »
À Paris, l’avocat de Nadine Trintignant déconseille de faire appel : une telle peine aurait été similaire en France.
Mais Lio, amie proche de Marie, est en larmes : « Je suis désespérée. »
Richard Kolinka résume : « Qu’il ait eu 8 ou 20 ans, ça ne ramène pas Marie. Mais il a pris une vie. Et il en a détruit bien d’autres. »
Une nouvelle vie brisée par Bertrand Cantat
Mais l’histoire ne s’arrête pas là.
2009, cinq ans après le procès. Un message vocal glaçant refait surface. Il est laissé par Kristina Rady à ses parents :
« Salut maman, salut papa. C’est Kristina. Des choses terribles se sont passées. Bertrand est fou. Si les événements de 2003 ne m’étaient pas arrivés à moi à l’époque, là, maintenant, c’est bien à moi que c’est en train d’arriver. Il m’est impossible de sortir de cette situation saine et sauve. »
Ce message est l’appel à l’aide d’une femme terrorisée, piégée dans une spirale de violence.
En septembre 2004, Bertrand Cantat est transféré de la prison de Vilnius à un établissement pénitentiaire dans le sud de la France.
À ses côtés, Kristina Rady, son ex-compagne et mère de ses enfants, continue de le soutenir. Elle déclare : « Si vous voulez qu’il puisse se reconstruire, il faut le laisser reconstruire. »
Richard Kolinka, ancien compagnon de Marie, comprend sa position : « Je ne lui en veux pas. C’était le père de ses enfants. »
Mais pour la réalisatrice Anne-Sophie Jahn, c’est justement Kristina Rady qui l’amène à creuser plus profondément : « Ce que j’ai découvert est bien plus fou que ce que j’avais imaginé. L’histoire de Kristina est aussi triste, aussi terrible que celle de Marie. Il n’y a pas qu’une affaire Cantat. Il y en a plusieurs. »
En septembre 2007, soit trois ans après le procès, Bertrand Cantat obtient une libération anticipée. Une décision difficile à accepter pour les proches des victimes.
Philippe Laflaquière, ancien juge d’application des peines, se souvient : « Il a purgé 4 ans. Son dossier était bon. Comportement en détention irréprochable, expertises psychologiques favorables. Kristina l’accompagnait, elle prenait des notes. »
Marie-Josèphe Daguzan, psychologue experte, témoigne : « Je l’ai vu une seule fois. Il ne correspondait pas aux profils violents. Aucune plainte antérieure. »
Philippe Laflaquière précise : « Il s’agissait d’un crime dans un contexte amoureux. Le risque de récidive était jugé inexistant. »
Mais pour Frédéric Péchenard, ex-directeur de la brigade criminelle, c’est une erreur de raisonnement : « Ce discours du crime passionnel est dangereux. Il ne recommencera pas, parce qu’elle est morte ? Qui peut garantir qu’un homme qui a tué sa femme ne recommencera jamais ? »
Bertrand Cantat est donc libéré après avoir purgé la moitié de sa peine.
Lio, amie proche de Marie Trintignant, est révoltée : « La vie d’une femme ne vaut pas grand-chose. »
Michelle Fines renchérit : « Le message que ça envoie, c’est que tuer une femme, ce n’est pas si grave. Quatre ans de prison pour un meurtre, c’est incompréhensible. »
L’un des éléments ayant permis sa libération : le retour au domicile de Kristina Rady. Anne-Sophie Jahn résume l’absurdité : « Un homme qui a tué une femme est renvoyé vivre chez une autre. »
En 2009, deux ans après sa libération, officiellement, Bertrand Cantat et Kristina Rady vivent ensemble. Mais la réalité est plus complexe.
Klaudia Cseh, fille au pair, décrit une maison colorée, pleine de vie… en apparence. Elle s’occupe d’Alice et Milo, les enfants. Le couple ne vit pas sous le même toit. Kristina est en réalité célibataire et entame une nouvelle relation avec François Saubadu.
François, tombé amoureux dès leur première rencontre, raconte une histoire d’amour intense, rapide, sincère. Mais l’ombre de Bertrand Cantat plane sur leur couple. Quand il apprend la relation, il harcèle Kristina, lui envoie des messages, l’appelle sans relâche, fait du chantage affectif.
François se souvient : « Elle avait peur. Il contrôlait tout. Il était toujours derrière elle. »
Klaudia confirme : « Il était jaloux. Il ne supportait pas qu’elle refasse sa vie. Il voulait réformer leur foyer. Et l’atmosphère est devenue toxique. »
Csilla Rady, la mère de Kristina, témoigne : « Bertrand menaçait de se suicider si elle le quittait. Un jour, il s’est tailladé le bras à table devant les enfants. Il n’était pas net. »
Puis, un message vocal laissé à ses parents : « Hier, j’ai failli mourir. Je n’arrive plus à respirer à cause de la peur. Bertrand est fou. Ce qu’il appelle amour, c’est un cauchemar. »
Stupéfaits, les parents tentent de la joindre. Bertrand ne décroche pas. Kristina refuse de dénoncer ses violences : « S’il est arrêté, il se suicidera. Les enfants seront orphelins. Témoigner ne servirait à rien. »
Le 10 janvier 2010, six mois après ce message, le corps de Kristina Rady est retrouvé sans vie dans la maison familiale.
C’est Milo, son fils de 12 ans, qui fait l’appel aux urgences. À midi, en rentrant chez lui, il découvre Bertrand Cantat endormi. Puis il monte à l’étage et trouve sa mère pendue. Il redescend affolé et tente de réveiller son père : « C’est sûrement une farce… mais maman est toute blanche. »
Jean-Claude Pailhère, ancien commissaire de la police judiciaire de Bordeaux, se souvient : « L’homme qui s’est présenté comme le compagnon de la défunte, c’était Bertrand Cantat. »
Sur une table, un cahier manuscrit est posé. Kristina y a laissé un mot d’adieu.
Pour François Saubadu, son dernier compagnon, la douleur est inextinguible : « J’ai pleuré sans arrêt pendant des mois. »
Dominique Revert, ancien tourneur de Noir Désir, n’arrive pas à comprendre : « Elle aimait tellement ses enfants. C’est incompréhensible. »
Lio, amie proche, se remémore un jour où Kristina a tenté de lui parler dans la rue : « Je n’ai pas pris le temps de l’écouter. Je m’en veux tellement. »
À 41 ans, Kristina Rady semblait rayonnante, battante. Rien, en apparence, ne laissait présager un tel drame.
Mais Anne-Sophie Jahn, réalisatrice, commence à comprendre : « Je ne comprenais pas son silence, son retour auprès de Bertrand. Alors j’ai voulu savoir. Et ce que j’ai découvert était bien plus grave. »
Dans la lettre laissée par Kristina, elle évoque des tensions, des disputes, des ruptures de liens, et surtout met en cause Bertrand Cantat, en dénonçant son emprise et sa souffrance auto-érigée en vérité absolue.
Jean-Claude Pailhère confirme : « Elle le cite comme l’une des causes potentielles de son passage à l’acte. »
Un avocat s’indigne : « Encore une fois, il dormait. Il dormait aussi quand Marie est morte. »
Bertrand Cantat, entendu par les enquêteurs, ne nie pas les tensions. Il collabore, parle d’une relation difficile. L’enquête est bouclée en 30 heures. La mort de Kristina Rady est classée comme un suicide.
Mais Richard Kolinka, ancien compagnon de Marie Trintignant, est abasourdi : « Le mec a tué une femme. La mère de ses enfants se suicide. Et il n’y a pas d’enquête ? »
Un employé des services d’urgence découvre alors, par hasard, un dossier médical resté ignoré : Kristina avait consulté un médecin à la suite d’une altercation violente avec Bertrand Cantat. Les observations sont glaçantes : décollement du cuir chevelu, hématomes, trace de traînée par les cheveux.
Kristina n’a jamais porté plainte, pour protéger ses enfants. Les faits remontent à Vilnius, après la libération anticipée de Cantat. À l’époque, il était encore sous liberté conditionnelle. Si elle avait parlé, il aurait pu retourner en prison.
Anne-Sophie Jahn l’assure : « Il existe un dossier médical qui prouve que Bertrand Cantat a été violent après sa sortie de prison. »
Lio, bouleversée : « Quand j’ai appris sa mort, j’ai dit tout de suite : c’est à cause de lui. J’espérais que les médias s’en rendraient compte. »
Mais une fois encore, la France médiatique répond par l’indulgence. Michelle Fines note : « Encore une fois, on a de l’empathie pour lui. »
Anne-Sophie ajoute : « Personne ne cherche à comprendre les raisons du suicide. Même le message vocal de Kristina, publié dans plusieurs journaux, n’a pas déclenché d’indignation. »
Dans ce message, Kristina dit :
« Hier, j’ai failli y laisser une dent. Il m’a attrapée, mon coude est tuméfié, un cartilage cassé. Mais tant que je peux encore parler, ça n’a pas d’importance. »
Pascal Nègre, ancien dirigeant d’Universal Music, botte en touche : « Je ne m’occupe pas de la vie privée des artistes. Je ne parlerai que de musique. »
Mais la machine médiatique tourne à plein régime en faveur de Bertrand Cantat. En prison, il signe un nouveau contrat avec Universal, les ventes de Noir Désir explosent, et le groupe reçoit même une nomination au meilleur album musical de l’année.
Anne-Sophie Jahn résume : « Malgré tout ça, l’image de Bertrand reste intacte. Des opérations de communication sont orchestrées. L’industrie musicale soutient l’artiste, pas la vérité. »
Novembre 2010, 11 mois après la mort de Kristina Rady, Noir Désir se sépare définitivement, après des désaccords internes profonds, notamment autour de la présence de Bertrand Cantat.
#MeToo contre le retour de Cantat
Après deux morts, après tant de souffrances, Bertrand Cantat revient sur scène. Sous le nom de Détroit, il chante ses nouvelles chansons, mais aussi les succès de Noir Désir. Il remplit les Zénith, vend des disques, décroche un disque de platine.
Anne-Sophie Jahn, réalisatrice du documentaire, résume avec amertume : « Il triomphe. »
Interrogé, Pascal Nègre, ancien PDG d’Universal Music France, répond avec désinvolture : « Si ça vous scandalise, n’allez pas le voir. »
Dominique Revert, proche de l’artiste, parle de talent et de blessures d’écorché vif. Mais pour Richard Kolinka, ancien compagnon de Marie Trintignant, c’est une insulte : « Il se fiche de ce que les gens ressentent. Il passe au-dessus de tout. C’est un mépris absolu. »
Anne-Sophie Jahn, déterminée à comprendre, cherche à savoir si les violences de Bertrand Cantat ont commencé avant Vilnius. Elle contacte des proches du chanteur, des artistes, des professionnels du milieu musical. Tout le monde se tait.
Mais le silence l’inquiète : « Plus les gens se taisent, plus je me dis qu’ils veulent cacher quelque chose. »
Finalement, un membre de Noir Désir accepte de la rencontrer. Il confirme : « Oui, Bertrand a été violent avant la mort de Marie. » Il lui parle de deux autres femmes, deux anciennes compagnes victimes de violences.
L’une d’elles, Line, en 1989, aurait été étranglée par Cantat. Elle a fui. Il décrit un homme manipulateur, toxique, et affirme qu’une décision collective avait été prise au sein du groupe et avec Kristina Rady pour mentir sur les actes de violence.
Frédéric Péchenard, ancien directeur de la brigade criminelle, confie son sentiment d’échec : « En 2003, tout le monde disait que Bertrand Cantat n’était pas violent. Et nous n’avons pas réussi à faire éclater la vérité. »
Lio, indignée, ajoute : « Pour sauver Cantat, pour sauver le groupe, ils ont traîné Kristina dans le mensonge. C’est odieux. »
Quand Anne-Sophie Jahn publie son article, Bertrand Cantat est encore soutenu par Universal, le plus gros label du monde. Malgré la mort de Marie Trintignant et Kristina Rady, il reste protégé, respecté, presque intouchable.
En 2017, il fait la couverture du magazine Les Inrockuptibles. Huit pages lui sont consacrées. Ni Marie, ni Kristina n’y sont mentionnées.
Michelle Fines, journaliste, s’indigne : « Il revient comme si rien ne s’était passé. C’est une tentative d’effacement. »
Mais cette fois, la société réagit. Octobre 2017, l’affaire Harvey Weinstein éclate. C’est le début de #MeToo. Pour mieux comprendre le mouvement, lisez l’article dédié ici.
Une nouvelle génération de féministes se mobilise pour contester le retour sur scène de Bertrand Cantat. Le débat explose : Peut-on séparer l’homme de l’artiste ? A-t-il payé sa dette ?
Lorsque l’article d’Anne-Sophie Jahn paraît, elle est submergée de messages haineux : « Tais-toi. Féministe hystérique. »
Sur les réseaux sociaux, une vague de sexisme et de menaces déferle.
Lors d’un débat télévisé, elle se retrouve face à Éric Dupond-Moretti, célèbre avocat. Hors caméra, il lui glisse : « L’affaire Cantat ? Je ne l’ai pas suivie. »
Elle comprend alors l’ampleur du problème : « Il ne réalise pas que ce qu’on parle ici, c’est de violences faites aux femmes. »
L’applaudir sur scène est indécent, dit-elle. « Je ne veux pas qu’on oublie Marie Trintignant ni Kristina Rady. »
Un avocat ajoute : « Comment peut-on encore le qualifier de chanteur engagé ? C’est insupportable. »
Après la publication, Bertrand Cantat attaque pour diffamation. Il ne vise pas le contenu, mais les sources anonymes, pour faire pression.
Des cadres du milieu appellent des membres de Noir Désir pour les pousser à démentir. Une opération d’étouffement est lancée.
Mais Anne-Sophie Jahn tient bon : « Ce n’est pas qu’un article. C’est une question de vie ou de mort. Si cette histoire avait été bien racontée, si ses proches avaient parlé… peut-être que deux femmes seraient encore en vie. »
Michelle Fines conclut : « Il a fallu 10, 15 ans pour que les médias cessent de parler de drame conjugal. C’était un féminicide. Une violence conjugale d’une extrême gravité. »
Richard Kolinka, quant à lui, rappelle : « Chaque jour, des femmes sont battues. Et la société continue à détourner les yeux. »
Michelle Fines, dans un aveu intime, confie : « Moi aussi j’ai pris des claques. Et je suis partie. Mais j’ai eu peur de finir comme Marie. »
Lio termine avec colère : « Je ne veux pas ça pour mes filles. Je l’ai vécu. Quand je suis allée porter plainte, on m’a dit que c’était de ma faute. La société m’a dit que je l’avais mérité. »
Conclusion – Le silence tue toujours
Marie Trintignant est aujourd’hui un symbole dans la lutte contre les violences conjugales.
Kristina Rady, trop longtemps oubliée, est une victime de plus, tombée dans le silence et l’effacement.
En 2020, la France adopte une loi sur le suicide forcé, dix ans après la mort de Kristina.
Et pourtant, chaque année, environ 100 femmes meurent sous les coups de leur compagnon ou ex-compagnon.
Le silence, les complicités, la peur de briser les réputations, tout cela tue.
Ne pas parler, c’est laisser faire.