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Femmes et argent : Les femmes riches ne courent pas les rues

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Au XXIe siècle, on pourrait croire que les choses ont changé. Une femme peut travailler, avoir des enfants, gagner sa vie, être indépendante. Et pourtant, quand on regarde les chiffres, une autre réalité se dessine : en France, les femmes gagnent en moyenne 15,8 % de moins que les hommes76 % des retraités pauvres sont des femmes. Chaque année, à partir de novembre, les femmes travaillent symboliquement « gratuitement» par rapport aux hommes.

Alors, les femmes ont-elles les mêmes chances que les hommes d’accéder à l’indépendance financière ? De devenir riches ? De maîtriser leur argent ? La réponse est plus complexe qu’on ne le pense, car le rapport entre femmes et argent se construit très tôt, souvent de manière invisible.

Pour écrire cet article sur les femmes et argent, je me suis appuyée sur le documentaire de Arte : Les femmes riches ne courent pas les rues. C’est pourquoi, il fait partie de la section Mediathèque.

Femmes et argent : une inégalité qui commence dès l’enfance

La psychothérapeute Nicole Prieur a interrogé de jeunes filles sur leurs rêves. Parmi elles : une future avocate, une actrice, une journaliste, une créatrice de mode, une chimiste. Toutes veulent « gagner un peu d’argent », mais l’essentiel, pour elles, c’est d’aimer leur métier.

Chez les garçons, les discours sont différents : certains déclarent avec assurance qu’ils veulent devenir traders ou avoir un métier qui rapporte beaucoup. Très tôt, les filles et les garçons développent un rapport différent à l’argent — et ce n’est pas un hasard.

Une émission britannique a mené une expérience : habiller un garçon en fille et une fille en garçon, puis observer la manière dont les adultes interagissent avec eux. Résultat : les adultes choisissent les jouets en fonction des vêtements, et non de la personnalité de l’enfant. Ces stéréotypes influencent la perception des compétences, des désirs… et du rapport à l’argent.

L’argent de poche, révélateur des inégalités

Les stéréotypes sur les femmes et argent ne se limitent pas aux publicités ou aux jeux. Ils s’insinuent dans la vie quotidienne, souvent à l’insu des parents eux-mêmes. Combien de fois a-t-on demandé à un petit garçon de ne pas pleurer, et à une petite fille d’aller chercher un mouchoir pour lui ? Ces gestes, anodins en apparence, participent à façonner une vision du monde où les filles prennent soin des autres avant de penser à leurs propres besoins. Y compris financiers.

Pour comprendre comment naît cette inégalité, la cofondatrice de Pixpay, Caroline Ménager, a analysé l’argent de poche donné aux enfants. Bonne nouvelle : à 10 ans, filles et garçons reçoivent à peu près la même somme chaque mois. Mais en regardant de plus près, les inégalités réapparaissent dans les « extras » : argent pour le cinéma, les sorties, les achats ponctuels…

Résultat : à 18 ans, un garçon aura perçu en moyenne 200 € de plus qu’une fille. Pourquoi ? Parce que les garçons demandent plus. Parce que les parents, souvent les mères, estiment qu’ils ont « plus de besoins ». Inconsciemment, même les femmes reproduisent ces schémas : elles donnent moins d’argent à leurs filles, qui, elles-mêmes, osent moins demander.

femmes et argent - argent de poche pixpay
Etude femmes et argent - « Argent de poche et inégalités dès l’adolescence » par le Teenage Lab de Pixpay

Une autonomie financière encore récente

Il faut rappeler qu’en France, les femmes n’ont le droit d’ouvrir un compte bancaire à leur nom sans l’autorisation de leur mari que depuis… 1965. Cette avancée a bouleversé la société et le rapport femmes et argent, mais la mentalité collective n’a pas toujours suivi.

L’ONU a d’ailleurs mis en place un indice pour mesurer l’acceptation réelle de l’égalité entre les genres : l’Index social de genre. Les résultats montrent que l’idée selon laquelle les femmes méritent autant que les hommes est encore loin d’être universellement admise.

Femmes et argent : les biais qui façonnent (encore) notre monde

Si les inégalités entre femmes et argent sont si profondes, c’est parce qu’elles s’enracinent dans un système de croyances que même les discours égalitaires peinent à ébranler.

Selon, Pedro Conceição, directeur du Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), lorsqu’on demande aux gens qui ferait un meilleur dirigeant politique – un homme ou une femme – 90 % répondent : un homme. Et ce n’est pas uniquement les hommes qui véhiculent ces idées reçues : les femmes aussi. Le biais est collectif, culturel, profondément ancré.

Dans ce contexte, le discours sur l’égalité entre les sexes apparaît souvent moins comme une réalité que comme une simple croyance. Or, ces croyances ont un coût — un coût humain, économique et politique, qui pèse lourdement sur la relation entre femmes et argent.

De bonnes élèves… mais sous-payées

Jocelyn Chu, experte pour ONU Femmes, rappelle une réalité glaçante : dans le monde, les hommes possèdent 105 milliards de dollars américains de plus que les femmes. Et sur l’ensemble de leur vie, les femmes gagnent en moyenne seulement deux tiers de ce que gagnent les hommes.

Aucune nation n’a, à ce jour, réussi à effacer totalement l’écart économique entre femmes et hommes. Le lien entre femmes et argent reste encore un champ de bataille, même dans les économies les plus avancées.

Isabelle Collet, professeure en sciences de l’éducation à l’Université de Genève, s’étonne d’un phénomène paradoxal : les filles réussissent mieux à l’école que les garçons, mais elles ne se dirigent pas vers les carrières les plus lucratives. Plus diplômées, certes, mais pas dans les filières les plus rémunératrices.

Résultat : 80 % des femmes travaillent dans les secteurs du soin et de l’éducation, qui sont parmi les moins valorisés économiquement. Les sciences, l’ingénierie, l’informatique ? Trop souvent perçus comme « réservés aux hommes ». Et pourtant, c’est là que se concentrent les opportunités, les salaires élevés, les carrières d’avenir… et l’argent.

femmes et argent - métiers selon le genre
Femmes et argent - Les emplois sont toujours divisés en fonction du genre

La sous-représentation des femmes dans les métiers scientifiques

Olivier de Lapparent, directeur du Centre des Diversités et de l’Inclusion à CentraleSupélec, explique que dans les écoles d’ingénieurs, les filles ne représentent que 18 à 20 % des effectifs. Pourquoi si peu ? Parce que dès le plus jeune âge, l’entourage et même les enseignants peinent à envisager les filles comme capables de suivre des carrières exigeantes.

Les mécanismes d’orientation sont biaisés, même inconsciemment. L’exemple de l’informatique est révélateur : dans les années 1970, ce secteur était mal payé, on le confiait volontiers aux femmes. On leur disait : « C’est comme taper à la machine, vous allez vous y retrouver ». Et quand l’informatique a commencé à rapporter beaucoup d’argent ? L’image du métier a changé : c’est devenu logique, technique, mathématique… donc masculin.

Et voilà comment les femmes et argent sont encore séparés, non par manque de compétences, mais à cause de constructions sociales qui découragent les vocations.

Femmes et argent - femmes-dans-le-numérique-des-étudiantes-plus-souvent-découragées
Femmes et argent - Etude Genderscan 2021

Antonio Guterres, Secrétaire général de l’ONU, alerte : dans le monde, les femmes ne représentent qu’un tiers des étudiants en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques. Dans l’intelligence artificielle, elles sont seulement 1 sur 5. Et pourtant, c’est ce domaine qui façonnera le monde de demain.

Alors que penser d’un monde modelé presque exclusivement par des hommes ? Peut-on vraiment construire un avenir inclusif si les femmes et argent, les femmes et le pouvoir, sont toujours mis à distance dès l’enfance, dans l’orientation, dans la carrière, dans l’imaginaire collectif ?

Femmes et argent : la pénalité maternelle, une taxe invisible sur la carrière des mères

L’enfant arrive, les inégalités explosent

Dans plusieurs grandes métropoles américaines, les jeunes femmes gagnent même plus que leurs homologues masculins. À Wenatchee, dans l’État de Washington, par exemple, elles perçoivent 20 % de plus. À New York ou Washington D.C., le constat est similaire : les femmes entre 16 et 29 ans dépassent les hommes en termes de revenus. Une belle victoire sur le rapport femmes et argent ? Oui, mais temporaire.

Car une fois la trentaine atteinte, les courbes s’inversent. Celles qui gagnaient autant — voire plus — que les hommes, voient leurs revenus chuter. Entre 36 et 49 ans, elles ne gagnent plus que 80 centimes pour chaque dollar perçu par un homme. Pourquoi ? À cause de ce que les chercheurs appellent la pénalité maternelle.

Femmes et argent - Différences femmes / hommes

Camille Landais, président du Conseil d’analyse économique, l’explique clairement : à la naissance du premier enfant, les trajectoires professionnelles des femmes décrochent brutalement. Les hommes ? Rien ne change. Ils poursuivent leur carrière. Les femmes, elles, perdent en moyenne 35 % de revenus par rapport à ce qu’elles auraient touché sans enfant, en suivant une trajectoire similaire à celle de leurs collègues masculins.

Officiellement, un enfant se fait à deux. Mais dans les faits, la spécialisation des rôles reste la norme : madame prend en charge le travail gratuit, monsieur continue le travail rémunéré. Une division du travail qui coûte cher… aux femmes.

Femmes et argent - pénalité maternelle
Femmes et argent - Etude de Connolly, Fontaine & Haeck, 2023

Pour Jill Yavorsky, sociologue à l’université de Caroline du Nord, les chiffres sont édifiants : après un enfant, les femmes consacrent 22 heures par semaine aux soins des enfants, contre 14 heures pour les hommes. Pire encore, les hommes augmentent leur temps de travail… pendant que les femmes stagnent, voire réduisent le leur. Résultat : les mères craquent. Trop de charge mentale, trop peu de soutien, trop de frais de garde. Elles finissent par quitter le marché du travail.

Ce que l’on nomme « maternité » dans la sphère intime devient alors, dans le monde professionnel, une pénalité financière majeure. Une taxe non écrite sur la carrière des femmes. Dans un monde qui valorise l’indépendance, l’autonomie et la réussite, le prix de la maternité reste un tabou — un piège dans le rapport femmes et argent.

Femmes et argent - Etude de la Drees "L’articulation entre vies familiale et professionnelle repose toujours fortement sur les mères"

Le cas de la maternité en Allemagne

Le cas de l’Allemagne est particulièrement frappant sur les femmes et argent. Jutta Allmendinger, ancienne présidente du Centre des sciences sociales de Berlin, évoque des chiffres éloquents : en Allemagne, neuf femmes sur dix arrêtent toute activité professionnelle la première année après un accouchement. Trois ans plus tard, elles ne sont plus que quatre sur dix à avoir repris une activité. Et ce, dans un pays qui se targue d’avoir l’une des économies les plus performantes au monde.

La société allemande va jusqu’à désigner d’un terme péjoratif les mères qui travaillent : « Rabenmutter« , soit « mère corbeau », sous-entendant qu’une femme ne devrait pas travailler quand elle a des enfants. Les politiques publiques renforcent cette norme : horaires de crèche limités, écoles fermées à midi… tout est pensé pour une mère au foyer.

Effets de la parentalité sur les revenus en Allemagne
Femmes et argent - Effets de la parentalité sur les revenus en Allemagne

Sarah est mère au foyer en Allemagne. Et comme beaucoup d’autres femmes, elle vit avec une angoisse sourde : « Je suis totalement dépendante financièrement. Et s’il lui arrive quelque chose ? Et s’il ne veut plus de nous ? Que deviennent mes enfants ? ». Nourriture, vêtements, matériel scolaire : les besoins concrets ne s’arrêtent jamais, mais les revenus, eux, dépendent d’un seul adulte.

En Allemagne, quand les enfants atteignent l’âge de 18 ans, seules un quart des femmes ont repris un travail à temps plein. Le modèle économique repose encore sur le sacrifice des femmes, perçu comme « normal ».

Charlotte Bartels, économiste à l’Institut allemand pour la recherche économique, le dit clairement : « On se plaint du manque de main-d’œuvre qualifiée, mais on oublie que cette pénurie est en partie auto-infligée : on renvoie les femmes à la maison au lieu de les intégrer pleinement dans le monde du travail. »

Mars 2020, l’Allemagne se confine. Les écoles ferment. Les enfants restent à la maison. Les femmes aussi. C’est dans ce contexte que Karin Hartmann, architecte, décide de rendre visible l’invisible. Elle commence à comptabiliser tout ce qu’elle fait : les repas, l’enseignement à la maison, le soin. Résultat : 15 000 € de travail gratuit en six semaines. Elle envoie une facture au ministère régional.

Femmes et argent - Facture de Karin Hartmann

Son initiative en lien avec femmes et argent se répand sur les réseaux. D’autres femmes suivent. Une campagne puissante. Mais aussi un flot de haine. On leur reproche d’oser réclamer de la reconnaissance. Des insultes, des menaces de viol, des comparaisons avec l’euthanasie. Pourquoi ? Parce qu’elles remettaient en question le rôle que la société attend d’elles : s’occuper, gratuitement, sans bruit ni plainte.

Le Covid a agi comme un miroir. Il a révélé à des millions de femmes la brutalité silencieuse de cette injonction à tout faire — et à tout taire.

Helene Périvier, économiste à l’OFCE, rappelle que le fait d’avoir un enfant influence les trajectoires professionnelles : les femmes refusent plus souvent les promotions, les projets à responsabilités. Par contrainte, mais aussi par anticipation.

Nicole Prieur, psychothérapeute, questionne la nature même de ces choix : « Travailler à mi-temps, renoncer à une carrière, est-ce vraiment un choix ? Ou une norme sociale intériorisée ? ». Le modèle dominant reste : une femme = une mère, une mère = une priorité aux enfants. Et le travail ? Secondaire, accessoire.

Femmes et argent : le prix du sexisme ordinaire

Le sexisme en costume-cravate

Intégrer les femmes dans l’économie n’est pas qu’une affaire de chiffres, de salaires ou de diplômes. C’est aussi — et surtout — une affaire de pouvoir. Et dans les lieux où ce pouvoir se concentre, le sexisme résiste.

Une DRH anonyme raconte les réticences qu’elle entend encore dans certaines entreprises : “Si on recrute une femme, il va falloir arrêter les blagues graveleuses, changer notre façon de faire… elle va nous casser les pieds avec ses enfants”. Un manager refuse même d’augmenter une salariée performante sous prétexte qu’elle a été en congé maternité. « Elle n’a pas contribué », dit-il. Comme si donner naissance était une absence injustifiée.

Évaluer la performance d’une femme selon son sexe ou son statut parental, c’est du sexisme pur. Et c’est illégal. Mais c’est aussi le quotidien qui pénalise les femmes et argent.

Sexisme et parentalité
Femmes et argent : le sexisme dans la parentalité @Fanny Vella

Chloé, cofondatrice de Mesetys, se souvient de sa première levée de fonds. Chiffres prêts, pitch solide, rendez-vous à Station F avec l’autre cofondatrice Mayssa. Mais face aux investisseurs, tout bascule : “Présentez-vous. Quel âge avez-vous ? Quelles sont vos activités extrascolaires ?” L’un d’eux parle de sa fille qui fait de l’équitation, coupe sa partenaire, ironise. Quand Mayssa lui laisse la parole, elle lui touche la cuisse sous la table, l’investisseur commente pour celui en visio “vous ne voyez pas mais elles se carressent sous la table”. Silence gêné. Rire nerveux.

Le message est clair : “Vous n’êtes pas à votre place.”

Chloé se souvient aussi de ce double standard : “On nous disait qu’on demandait trop, ou pas assez. Trop ambitieuses, pas assez. Trop gentilles, ou pas du tout. Et dès qu’un homme a rejoint l’équipe, l’attitude a changé. Là, ça allait.”

Femmes et argent : "Si les femmes se lancent entre femmes, elles ont (de fait) beaucoup moins de chances de réussir qu’avec des hommes entrepreneurs.”

L’injustice des levées de fonds pour les femmes

Thomas Perraud, investisseur chez 30 Partners, le confirme : seulement 2 % des fonds investis dans les startups françaises vont à des équipes exclusivement féminines. Et il suffit d’un homme dans l’équipe pour “rassurer” les investisseurs. Le sexisme est plus poli en surface, mais toujours aussi tenace dans les pratiques. Ce qui pénalise le rapport femmes et argent.

Et ce biais ne s’arrête pas là. Dans les plus hautes sphères économiques, les femmes sont presque absentes. Dans le CAC40, trois ou quatre PDG selon les années. Aux États-Unis, très peu de femmes font partie du 1 % des plus riches. Le constat de la sociologue Jill Yavorsky est glaçant : la probabilité la plus élevée pour une femme de devenir riche, c’est d’épouser un homme riche… ou d’hériter après sa mort.

Pour lever des fonds, faut-il devenir un homme ?
Femmes et argent - Laura Medji pour la campagne de Sista - © Photo sur le compte Twitter @wearesista

Sarah Harmon, thérapeute à The School of Mom, invite les femmes à crier. Pas symboliquement. Vraiment. Pour libérer des générations de colère refoulée, de honte intériorisée.

Une mère témoigne : “L’argent mesure le succès ? C’est facile à dire. Ce qu’on ne mesure pas, c’est le nombre de fois où je suis allée chercher mon enfant malade, le nombre d’opportunités professionnelles auxquelles j’ai renoncé. Ce travail-là est invisible. Et c’est pour ça que j’ai envie de crier.”

Inégalités économiques qui en découlent

Femmes et argent : l’amour ne protège pas de l’appauvrissement

« Quand on aime, on ne compte pas », dit l’adage. Et pourtant, ce romantisme a un coût. Un coût souvent payé par les femmes.

Nicole Prieur, psychothérapeute, raconte : « Avec mes patient·es, on parle de tout. Mais dès qu’il est question d’argent dans le couple — qui paie quoi, comment le budget est géré — c’est tabou. » Comme si parler d’argent, pour une femme, c’était perdre sa douceur, son altruisme, sa « féminité ».

Héloïse Bolle, fondatrice de Oseille & Cie, le martèle : « L’argent, c’est de la sécurité. Ne pas en parler, c’est prendre des risques énormes. » Dans un couple, qui paie les factures ? Qui prend en charge les enfants ? Qui déclare les impôts ? Qui cotise pour l’avenir ? Femmes et argent, ce n’est pas qu’une affaire individuelle : c’est aussi une question de couple… et de déséquilibre profond.

Dans l’imaginaire collectif, l’idéal est de partager les dépenses à parts égales. Mais cela ne tient pas si les revenus ne sont pas égaux. Exemple : si A gagne 2 000 € et B 3 000 €, et que le couple dépense 4 000 € par mois, un partage 50-50 revient à demander à A tout son salaire et à laisser à B un reste de 1 000 €. À la fin de l’année, B a épargné 12 000 €. A, rien.

Ce déséquilibre, souvent invisible, appauvrit durablement les femmes. Et selon Héloïse Bolle, ce cas n’a rien d’exceptionnel : dans les trois quarts des couples hétérosexuels des pays développés, l’homme gagne plus que la femme.

Le piège du 50-50
Femmes et argent @Marine Spaak

Femmes et argent : la théorie des pots de yaourts

Marion Leturcq, économiste à l’INED, rappelle que ces inégalités se creusent lentement, presque insidieusement. Tant que le couple tient, on ne voit rien. Mais le jour où l’histoire d’amour s’arrête, les comptes ne mentent plus.

Et là, surprise : l’un a épargné, investi, construit un patrimoine. L’autre — souvent la femme — a payé les couches, les courses, les vêtements, les sorties, sans trace durable ni capital. Une fois séparée, elle repart de zéro.

Pire encore : le PACS, contrairement au mariage, ne prévoit aucune compensation du niveau de vie à la rupture. Or aujourd’hui, deux enfants sur trois naissent hors mariage. Autrement dit, une majorité de femmes ne bénéficie d’aucune protection financière, même si elles ont soutenu leur famille pendant des années.

Helene Périvier, économiste, le souligne : les femmes gèrent le quotidien. Elles sont responsables du budget familial dans 70 % des cas. Elles payent la nourriture, les affaires scolaires, les activités extrascolaires. Les hommes, eux, financent souvent les investissements durables : maison, voiture, épargne.

Autrement dit : les femmes gèrent, les hommes possèdent.

Et quand la séparation arrive, la maison revient à celui qui l’a achetée, pas à celle qui l’a fait vivre.

Femmes et argent : les impôts sont sexistes

« Il n’y a pas d’hormone pour la finance », aime à dire Héloïse Bolle, fondatrice d’Oseille & Cie. Et pourtant, nombre de femmes finissent par croire qu’elles ne sont « pas compétentes » pour parler d’argent. Elles délèguent, s’effacent, laissent faire. Un excès de confiance chez les hommes, une dévalorisation des compétences chez les femmes : le cocktail est bien connu. Et il coûte cher.

Les économistes ont calculé que si le travail domestique gratuit était rémunéré, il représenterait 43 % du PIB américain — soit quatre fois plus que la richesse produite par le secteur du numérique. Les femmes ne gagnent pas l’argent… elles permettent à l’argent d’entrer dans la maison.

Mais quelle est leur marge de manœuvre réelle, dans un couple où la fiscalité elle-même creuse les inégalités ?

Helene Périvier, économiste à l’OFCE, dénonce un système encore hérité des années 1950 : la conjugalisation de l’impôt, pensée à une époque où « madame » ne travaillait pas, et donc représentait une « charge » pour son mari. Résultat : en déclarant à deux, on paie moins d’impôts. Mais pas toujours de façon équitable.

En France, ce système représente un avantage fiscal de 10 milliards d’euros par an, et 19 milliards en Allemagne. Or, ce mécanisme — présenté comme un « bonus » — profite surtout à l’homme le mieux rémunéré du couple.

Héloïse Bolle l’explique simplement : si vous vous mariez avec quelqu’un qui gagne moins, vous en profitez. Mais si votre conjoint gagne plus, vous l’avantagez fiscalement… et vous payez plus d’impôt que si vous étiez seule. Et devinez quoi ? Dans 3 cas sur 4, le mieux payé du couple… c’est Monsieur.

Jutta Allmendinger, sociologue, rappelle que l’impôt est prélevé au nom du foyer, mais que les remboursements ne sont jamais garantis d’être équitablement répartis. Des études montrent que dans de nombreux cas, c’est l’homme qui conserve la totalité du remboursementsans concertation ni partage. Encore une fois, les femmes travaillent, cotisent, et s’appauvrissent.

La violence économique

L’argent, outil de domination dans le couple

Lorsque l’argent devient un levier de contrôle, on parle de violence économique. Ce n’est pas anodin, ni rare. À Saint-Germain-en-Laye, l’association Women Safe reçoit des femmes de tous milieux sociaux qui fuient des situations de violences conjugales. Dans bon nombre de cas, le contrôle des finances, l’interdiction de dépenser, la confiscation des revenus font partie du cycle de domination.

Femmes et argent : ce n’est plus seulement une question de partage ou d’équité. C’est une question de pouvoir.

On demande souvent aux femmes victimes de violences conjugales : « Mais pourquoi tu n’es pas partie ? ». Comme si fuir était une évidence. Comme si partir ne demandait que du courage. Mais partir coûte cher. Et quand on n’a pas de compte en banque à soi, pas d’épargne, pas de logement possible… partir devient un luxe inaccessible.

Frédérique Martz, présidente de l’association Women Safe, alerte : la violence économique est insidieuse. Elle n’est presque jamais identifiée comme la première violence subie. Pourtant, les témoignages affluent : femmes sans compte personnel, obligées de justifier chaque dépense, exclues des comptes du foyer pendant que leur conjoint a accès total au leur.

C’est une violence douce, déguisée, socialement tolérée. Et culturellement inculquée : « c’est l’homme qui gère l’argent », entend-on encore. Le résultat ? À la séparation, les femmes subissent une baisse de niveau de vie de 20 %, contre seulement 3 % pour les hommes.

Être mère seule : une spirale économique infernale

Sarah Margairaz, cofondatrice du Collectif des mères isolées, le confirme : 80 % des parents solos sont des femmes. Et parmi elles, trop nombreuses tombent dans la précarité. Pourquoi ? Parce que ce sont elles qui, lors de la séparation, doivent ralentir leur activité professionnelle. Ce sont elles qui quittent le logement, n’en étant souvent ni propriétaires ni prioritaires. Ce sont elles, encore, qui se retrouvent seules face aux besoins des enfants, sans filet.

Ce déclassement est massif. Invisible, mais douloureux et brutal. Et dans les cas de violences conjugales, il devient un piège. Un piège mortel.

Tant que la société ne proposera pas des solutions concrètes pour aider les femmes à partir avec leurs enfants — logements accessibles, aides d’urgence, filets sociaux efficaces —, on ne pourra pas faire baisser les chiffres des violences conjugales ni ceux des féminicides.

L’indépendance économique est une condition de la survie.

Les solutions en faveur des femmes et argent

Femmes et argent : Ivana Moral, et la reconnaissance du travail invisible

En 2023, une décision de justice en Espagne fait l’effet d’un séisme pour les femmes et argent. Ivana Moral, après 25 ans de mariage sous le régime de la séparation de biens, obtient 204 624,86 € en compensation de son travail domestique non rémunéré.

Son histoire commence comme un conte de fées. Elle a 20 ans, passionnée de sport, elle rencontre un homme d’affaires propriétaire de salles de gym. Ils se marient. Mais très vite, le conte vire au huis clos. Il impose ses règles, jusque dans les détails du quotidien : ce qu’il faut mettre dans le frigo, qui décide à la maison, comme dans ses entreprises. Ivana s’enfonce, dépression, tentative de suicide.

Deux filles naissent. Elle s’occupe de tout : ménage, soins, loisirs, confort. Un jour, lors d’une dispute, son mari lui lance : “Tout m’appartient, je t’ai tout donné, tu continues à profiter de ce que j’ai bâti.” Elle lui répond : “Et ma contribution ? Elle ne compte pas ?”

Elle consulte un avocat. On lui rappelle qu’elle est mariée sous séparation de biens : tout appartient à monsieur. Mais une autre avocate se souvient d’un article du Code civil espagnol, resté dans l’ombre : le travail domestique peut être considéré comme une contribution aux charges du mariage et ouvrir droit à indemnisation en cas de divorce.

Résultat : le tribunal reconnaît le travail invisible d’Ivana, et condamne son ex-mari à lui verser plus de 200 000 €. Plus que l’argent, c’est la reconnaissance qui compte pour elle : “On ne peut plus ignorer cette réalité, par peur, par honte ou à cause du ‘qu’en dira-t-on’.”

L’affaire Ivana Moral a fait le tour du monde. Car elle résonne avec d’autres décisions : MacKenzie Scott, ex-femme de Jeff Bezos, a obtenu 38 milliards de dollars après leur divorce, en reconnaissance de son rôle dans la fondation d’Amazon. L’ex-femme de Rupert Murdoch a reçu 1,7 milliard. Celle de Steve Wynn, un milliard.

Ces sommes en lien avec les femmes et argent font débat. Mais au fond, elles posent une question centrale : un homme peut-il s’enrichir grâce au travail gratuit de sa conjointe… sans jamais en reconnaître la valeur ?

Camille Landais, présidente du Conseil d’analyse économique, parle de « confort masculin ». Un confort auquel il est difficile de renoncer. Et derrière les résistances à l’égalité salariale ou à la reconnaissance du travail domestique, il y a souvent la peur de perdre ce confort-là.

Nicole Prieur va plus loin : les résistances conservatrices observées chez Trump, Bolsonaro, ou dans l’Union européenne (Hongrie, Pologne) traduisent un refus profond : celui de voir bouger l’ordre ancien, celui où les femmes servaient sans discuter.

Femmes et argent : repenser la parentalité, impliquer les hommes, changer les règles

Pas d’égalité économique sans égalité parentale. C’est le constat posé par Jocelyn Chu, experte chez UN Women. Car tant que la maternité est perçue comme une contrainte féminine, les employeurs continueront à discriminer les femmes. Et tant que les hommes ne prennent pas leur part du travail domestique et parental, les femmes paieront le prix fort de la maternité.

Dans ce contexte, certains pays prennent des mesures radicales en faveur des femmes et argent. En Suède, chaque parent a droit à 8 mois de congé parental indemnisé. En Espagne, 4 mois obligatoires sont accordés à chaque parent, sans transfert possible. Résultat ? Quand une entreprise recrute un jeune homme ou une jeune femme, elle ne peut plus anticiper que seule la femme partira en congé. L’effet est immédiat : la discrimination recule.

Chez nous, le congé paternité est de 25 jours, non obligatoire. Et 30 % des pères ne le prennent pas. Le message implicite ? Prendre soin d’un enfant, c’est encore perçu comme un “truc de femme”.

Maxime Ruszniewski, fondateur de Remixt, utilise la fiction pour sensibiliser les entreprises. Il transpose les scènes de sexisme dans un monde préhistorique pour faire comprendre l’absurdité des résistances modernes : “Tu vas pas nous planter un mois pour un bébé ? Tu veux prendre un congé ? C’est pas un peu féminin, ça ?”

Et pourtant, le bénéfice est clair. Un congé parental équitable, c’est une économie à grande échelle : moins de dépenses en crèches, moins de pression sur les femmes, plus d’égalité salariale. Ce n’est pas qu’un combat idéologique. C’est une stratégie économique en faveur des femmes et argent.

Changer les politiques et les représentations

L’Espagne l’a prouvé : entre 2018 et 2023, elle augmente son salaire minimum de 47 %. Les femmes, majoritaires dans ces emplois, en sont les premières bénéficiaires. Résultat : l’écart de salaire hommes-femmes passe de 18 % à 8 %. Les politiques publiques ont un impact direct sur les inégalités économiques.

Autre exemple marquant : l’Allemagne. Après la Seconde Guerre mondiale, l’ex-RDA investit dans des structures d’accueil pour permettre aux femmes de travailler. Des décennies plus tard, leurs arrière-petites-filles gagnent, en moyenne, 600 000 € de plus sur une vie que celles de l’ex-RFA. La politique familiale façonne la liberté économique.

Mais il ne suffit pas de changer les lois. Il faut aussi changer les représentations pour les femmes et argent. Lucas, ingénieur dans l’IA, a décidé de travailler à mi-temps pour s’occuper de son bébé. Sa compagne Lena, conseillère financière et influenceuse, a partagé leur quotidien d’equal parenting (parentalité égalitaire) sur son compte TikTok lenajensn.

La réaction ? Une vague de commentaires violents. « Heureusement que ton mari est là pour s’occuper de ton enfant. » « Avec une mentalité pareille, fallait pas faire de bébé. » Et le plus douloureux : ces critiques viennent surtout d’autres femmes.

Même quand elles appellent à plus d’égalité, certaines mères rejettent les femmes qui incarnent un autre modèle. Les injonctions sont encore puissantes. Mais elles craquent. Lentement et permettent un meilleur avenir pour les femmes et argent.

Lena Jensen

Femmes et argent : à la retraite, l’addition finale

Tout au long de leur vie, les femmes gagnent moins, épargnent moins, investissent moins. Et cette injustice ne disparaît pas avec l’âge — au contraire. Elle se creuse entre les femmes et argent.

La sociologue Jill Yavorsky rappelle qu’entre 40 et 50 ans, les femmes possèdent en moyenne deux fois moins de patrimoine que leurs conjoints — souvent sans même le savoir. Le moment de vérité ? La retraite. Elles vivent plus longtemps, mais avec moins de ressources. Parce qu’elles ont pris des congés parentaux, réduit leur activité, ou payé les dépenses invisibles du foyer. Et, dès l’enfance, elles recevaient moins d’argent de poche, ce qui accentue l’écart femmes et argent génération après génération.

Retraites femmes

Marion Leturcq, économiste à l’INED, souligne un point moins connu : l’écart de patrimoine entre hommes et femmes s’est accru au fil du temps. Entre 1998 et 2015, il est passé de 9 % à 16 %. On le savait profond. On le découvre progressif et structurel.

Face à ces inégalités, un modèle fait souvent rêver : l’Islande. Première au classement mondial de l’égalité femmes-hommes selon le Forum économique mondial, le pays reste marqué par un événement fondateur : la grande grève des femmes du 24 octobre 1975. Ce jour-là, 90 % des femmes cessent de travailler, de faire le ménage, de s’occuper des enfants. Résultat : tout s’arrête.

Le message ? Sans les femmes, rien ne fonctionne.

Depuis, l’égalité est devenue un pilier culturel. Deux présidentes ont été élues. Aucun député n’ose remettre en question l’égalité, au risque de ne pas être réélu. Pourtant, même là-bas, les femmes descendent toujours dans la rue chaque 24 octobre, car l’égalité parfaite n’est pas atteinte. L’écart de salaire reste de 9 %.

À Berlin, Natascha Wegelin, fondatrice de Madame Moneypenny, forme chaque mois des femmes à la finance personnelle. Épargne, retraite, salaire : elles reprennent le contrôle, négocient, osent poser des limites. « Je vois des femmes s’épanouir, prendre leur vie en main, au lieu de laisser les autres décider pour elles. » Le rapport femmes et argent s’améliore.

Et en France ? En 2023, des femmes ont ressorti les bandanas de Rosie la riveteuse pour protester contre la réforme des retraites. Car, comme ailleurs, les femmes partent à la retraite avec 30 % de moins que les hommes.

Conclusion femmes et argent

Nous avons parcouru une fresque complète sur les femmes et argent : de l’argent de poche des petites filles aux pensions de retraite. Des biais inconscients aux discriminations flagrantes. Du travail gratuit à la valorisation juridique. Des inégalités dans le couple aux résistances politiques.

Ce que révèle ce parcours, c’est que “Femmes et argent” n’est pas une simple affaire de salaire. C’est une lutte pour l’autonomie, la reconnaissance, la liberté. C’est aussi une histoire de transmission : ce que l’on apprend aux filles, ce qu’on valorise dans le couple, ce que l’État finance — ou pas.

Et pendant que les femmes réclament justice, la réalité s’impose :

Il faudra 169 ans pour combler l’écart de richesse entre les sexes, selon le Forum économique mondial.

Alors non, les femmes riches ne courent pas les rues, mais elles marchent sur le pavé avec détermination. Et elles ne sont pas prêtes de s’arrêter. Agissons pour un monde en faveur des femmes et argent.

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